Editorials 2024
Notre équipe nationale de football a tutoyé l’exploit face à l’Angleterre samedi dernier et elle peut être fière de son parcours à l’Euro 2024. Dans d’autres domaines, la Suisse réussit aussi de belles choses, mais là le public n’y prête pas une attention particulière. Il s’agit notamment du «trilemme énergétique», un indicateur créé en 2010 par le Conseil mondial de l’énergie pour mesurer la situation énergétique d’un pays.
L’indice du trilemme prend en compte trois objectifs au demeurant opposés de la politique énergétique: «sécurité de l’approvisionnement énergétique», «accès/abordabilité» et «durabilité écologique». Une fois l’an, environ 130 pays sont classés en fonction de leur capacité à résoudre ce trilemme. Et depuis des années, la Suisse se classe dans le top 4 avec le Danemark, la Suède et la Finlande, souvent même à la première place. Notre pays obtient à chaque fois des résultats particulièrement bons sur le critère «accès/abordabilité», ce qui signifie que nous disposons à tout moment d’un approvisionnement énergétique sûr et abordable. Selon l’indice national des prix à la consommation, le coût des énergies fossiles a toujours baissé ces dernières années par rapport aux autres coûts de la vie. La Suisse, la Suède et la Norvège sont en tête de l’évaluation de la durabilité écologique. Le Conseil mondial de l’énergie écrit à ce sujet: «Ces pays ont misé sur l’efficacité énergétique, ont introduit des systèmes énergétiques diversifiés à faible teneur en carbone et ont utilisé efficacement des instruments politiques pour réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre.» Quelle contradiction avec l’arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme contre la Suisse!
L’intérêt de l’évaluation du Conseil mondial de l’énergie réside à la fois dans la vision globale des systèmes énergétiques et dans la comparaison à long terme des évolutions dans de si nombreux pays. En ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement, la Suisse obtient également de bonnes notes année après année, mais il ne devrait pas échapper à l’observateur attentif que celle-ci est menacée à l’avenir.
Le fait d’être sur le podium depuis si longtemps ne doit pas nous endormir pour la suite. Les auteurs du 15e rapport «Trilemma», publié récemment, avertissent néanmoins les pays européens qui s’en sortent bien dans l’ensemble. Certes, l’Europe a pu maîtriser la pénurie d’énergie immédiate après la rupture de l’approvisionnement russe. Mais selon le Conseil mondial de l’énergie, la stratégie à long terme de nombreux pays européens comporte des risques tels qu’une compétitivité moindre, des coûts énergétiques plus élevés et la perte d’avantages technologiques, ce qui pourrait entraîner une désindustrialisation.
Le temps des podiums serait alors révolu. Notre système énergétique actuel mérite des décisions politiques prises avec prudence et tenant compte de toutes les dimensions du trilemme énergétique.
Roland Bilang, Directeur d’Avenergy Suisse
Cela peut vous surprendre: je suis certes un représentant de l’industrie pétrolière, mais je m’exprime ici sur l’approvisionnement en électricité et l’énergie nucléaire. Il est dans l’ADN des pétroliers d’être responsables d’un approvisionnement énergétique abordable, sûr et disponible à tout moment. Cela implique également une compréhension approfondie des conditions logistiques et physiques nécessaires à assumer ces tâches. Or, on constate ces derniers temps des dérives, au point que les compagnies pétrolières représenteront dans les années à venir la dernière ligne de défense pour un approvisionnement en électricité sûr en hiver. En cas d’urgence, elles nourriront en Diesel des centaines de générateurs électriques ainsi que de grandes centrales électriques au fioul. Or, en dehors de l’espace germanophone, d’autres voies sont empruntées.
La Finlande a mis en service cette année la plus grande centrale nucléaire jamais construite, Olkiluoto 3. Certes, avec 13 ans de retard et d’énormes dépassements de coûts, mais les Finlandais et même les représentants des Verts acceptent l’énergie nucléaire. Ils sont même soulagés, car Olkiluoto 3 garantit la sécurité de l’approvisionnement et l’indépendance énergétique, notamment vis-à-vis de la Russie au moment opportun. Les sociaux-démocrates suédois, qui ont fermé des réacteurs nucléaires dans le passé, changent également de cap. Ils ont compris que les centrales nucléaires encore en service dans le pays, qui contribuent à 30% de l’approvisionnement en électricité, ne peuvent pas être remplacées par une autre technologie.
La Suisse achète régulièrement de grandes quantités d’électricité (nucléaire) à la France. Le président Macron prévoit la construction de pas moins de six nouvelles centrales d’ici 2050. Et aux Etats-Unis, l’administration Biden injecte des milliards dans le maintien et le développement de l’énergie nucléaire, via l’«Inflation Reduction Act». Il n’y a qu’en Allemagne que l’idéologie verte a conduit à la fermeture des installations nucléaires les plus récentes, alors que la sécurité de l’approvisionnement énergétique est au bord de l’explosion et que les objectifs climatiques sont inatteignables. En Suisse, nous ferions bien d’emprunter les deux voies vers un approvisionnement en électricité sans émissions de CO2: aussi bien la voie renouvelable que la voie nucléaire.
Ce week-end, les électeurs helvétiques décideront de l’avenir de la production d’électricité renouvelable dans notre pays. Avenergy Suisse soutient la loi sur l’électricité qui vise à encourager le développement de l’énergie solaire et éolienne et des lacs de stockage. À l’instar des Finlandais, nous devrions, en Suisse, garder à l’esprit l’autosuffisance énergétique. La loi sur l’électricité offre une certaine garantie à cet égard. Néanmoins, nous ne pourrons pas éviter de briser prochainement le tabou qui pèse sur l’énergie nucléaire et de lutter pour un consensus politique. L’énergie nucléaire doit elle aussi avoir un avenir dans notre pays si l’on veut un jour remplacer les énergies fossiles.
Roland Bilang, Directeur d’Avenergy Suisse
Les conducteurs de voitures anciennes et autres fans du moteur à combustion souhaitent continuer à utiliser des systèmes de propulsion éprouvés tout en roulant de manière respectueuse du climat. Ils se renseignent souvent pour savoir à partir de quand et où il sera possible de se procurer des carburants synthétiques, également appelés «synfuels» ou «e-fuels».
Les réponses ne sont pas simples. Si elles sont trop optimistes, elles suscitent des espoirs qui ne pourront peutêtre pas être satisfaits rapidement; si l’on reste trop prudent, on risque de renforcer l’impression que la fin du moteur à combustion est proche, du moins sur la route. Pourquoi?
Les avantages des «synfuels» sont séduisants. Ils peuvent être mélangés avec les carburants conventionnels, ce qui rend leur introduction sur le marché prévisible. Ils sont d’une qualité comparable à celle de leurs équivalents «fossiles». Sur le marché, ni les appareils consommateurs – c’est-à-dire le parc automobile – ni les systèmes d’approvisionnement ne devront être remplacés. Par rapport à l’électricité, les molécules d’énergie sont beaucoup plus faciles à transporter et à stocker, ce qui est bon pour un approvisionnement sûr et solide du marché.
Le problème réside toutefois dans la production des «synfuels». Pour que leur combustion ne génère aucune émission nette de CO2, il faut d’une part que l’électricité nécessaire à la synthèse soit elle-même produite sans CO2, mais aussi que le carbone ait été préalablement extrait de l’atmosphère, que ce soit par des moyens techniques ou par des plantes. Sans entrer dans les détails, il est clair que cette production sera techniquement complexe et très coûteuse au début. Il faut donc des décisions entrepreneuriales courageuses pour déclencher des investissements de plusieurs milliards. Dans le contexte actuel – crises géopolitiques, absence de signaux politiques en faveur des sources d’énergie chimiques – on peut comprendre l’hésitation des investisseurs. En bref: avant qu’un remplacement généralisé de l’essence et du Diesel par des carburants synthétiques ne soit possible, il faudra encore que les pays industrialisés fassent de nombreux efforts communs.
Et pourtant, les «synfuels» sont déjà disponibles aujourd’hui comme produits de niche. Là où la volonté existe, les premières chaînes d’approvisionnement voient le jour. On peut notamment citer le sport automobile et les voitures de collection. Ces milieux montrent que les carburants synthétiques fonctionnent et que le moteur à combustion a un avenir. Ils donnent également l’impulsion initiale pour d’autres investissements. La montée en puissance du marché des carburants synthétiques est à portée de main, tout comme une baisse prévisible des coûts de production grâce aux économies d’échelle.
Roland Bilang, Directeur d’Avenergy Suisse
Chez Avenergy Suisse, on nous demande régulièrement si nous observons oui ou non une baisse des ventes de carburant dans les stations-services, au profit de la mobilité électrique, qui est en augmentation. Nos réponses restent le plus souvent vagues, car il n’est pas facile de saisir de telles corrélations. Pourtant, les chiffres des ventes de carburant sont enregistrés chaque année en Suisse, on les connaît et comme le montrent les dernières enquêtes du secteur, ces ventes sont restées assez stables au cours des dernières années. Après le cas particulier de la pandémie en 2020 et 2021, les baisses de prix motivées par des raisons politiques dans les pays voisins ont pesé sur les ventes de carburant en Suisse en 2022.
C’est pourquoi les observateurs du marché ne sont pas surpris de constater qu’en 2023 les ventes de carburants ont à nouveau augmenté par rapport à l’année précédente. Les quelque 6,1 milliards de litres sont certes inférieurs de quelques points de pourcentage à la quantité pré-Covid en 2019, mais cela est moins lié à l’augmentation du nombre de véhicules électriques – le nombre de véhicules à combustion n’a pas changé durant cette période – qu’aux moteurs plus efficients du parc automobile national. Le besoin de mobilité toujours croissant de la population et de l’économie a pour conséquence que la demande en agents énergétiques liquides est relativement stable, malgré les changements progressifs dans la technologie de propulsion et l’efficacité énergétique croissante des moteurs. À propos des sources d’énergie liquides, la part du biocarburant dans les ventes totales a fait un bond réjouissant l’année dernière et rejoint le niveau d’avant la pandémie. Ainsi, plus de 250 millions de litres de biocarburant ont été consommés. Comme par le passé, c’est 600 000 de tonnes de CO2 qui ont été ainsi économisés. Les biocarburants demeurent la mesure individuelle la plus efficace pour réduire ces émissions. Problème: ils sont nettement plus chers que leurs équivalents fossiles, l’impôt sur les huiles minérales doit continuer à les épargner pour garantir leur usage.
Les données sur les stations-services collectées annuellement par Avenergy Suisse indiquent d’autres changements. Dans l’enquête faite en 2022, on pouvait voir que la croissance des points de charge électriques était de 50%. Et en 2023, cette même croissance se situait à 20%. Au total, 163 stations-services disposent d’au moins une borne de recharge rapide. Enfin, le nombre de stations-services à hydrogène est passé de 11 à 15 l’année dernière, ce qui permet de faire le plein avec ce vecteur d’énergie respectueux du climat sur l’ensemble du territoire, de Genève à Saint-Gall et de Bâle aux Grisons.
Ces chiffres illustrent trois points: il existe une diversité croissante de technologies qui visent à réduire les émissions de CO2 du trafic routier; le marché répond au besoin d’énergies alternatives partout où il existe, et les sources d’énergie liquides pour le transport routier sont toujours celles qui dominent le marché. Et pour longtemps encore.
Roland Bilang, Directeur d’Avenergy Suisse
Fin février, l’édition principale du «Tagesschau» de la chaîne allemande ARD avait proposé un reportage sur la situation économique actuelle en Allemagne. On y avait appris que Stihl, le leader mondial de matériel de motoculture forestier, compte déplacer son projet d’extension de sa production en Suisse, plus précisément à Wil (SG), et non plus en Allemagne même si les travaux avaient déjà commencé à Ludwigsburg! Le président du conseil d’administration, Nikolas Stihl, s’en est expliqué ainsi: «Les employés helvétiques sont payés davantage, mais les coûts totaux, qui se composent également de taxes, d’impôts et de coûts énergétiques font que la production en Suisse est moins chère qu’en Allemagne.» Stihl a raison: l’Allemagne, qui semblait être un modèle de transition énergétique jusqu’alors, subit désormais des coûts énergétiques et des charges fiscales très élevés. À tel point que les industriels en viennent à fuir le pays. Mais le fait qu’elle s’installe dans un pays à hauts salaires comme la Suisse a de quoi surprendre... dans le bon sens.
Dans un rapport accablant publié la semaine dernière, la Cour des comptes allemande a fait la leçon à son gouvernement sur sa politique énergétique. Et pour cause, celle-ci ne repose que sur des scénarios favorables. Les hypothèses de développement des énergies renouvelables sont irréalistes, les effets sur la nature et le paysage n’étant par exemple pas suffisamment quantifiés. En outre, les coûts du système ne sont pas pris en compte dans le prix des énergies renouvelables. La sécurité de l’approvisionnement est menacée et la transition énergétique risque d’échouer.
Certaines de ces affirmations pourraient tout à fait s’appliquer à la politique énergétique suisse actuelle. Heureusement, grâce aux grands projets de barrages réalisés par nos grands-pères visionnaires après la Seconde Guerre mondiale, nous sommes encore sur un lit de roses en ce qui concerne l’approvisionnement en électricité.
La fuite de l’entreprise Stihl de l’Allemagne vers la Suisse montre qu’il est encore possible, en tant que pays à hauts salaires, d’être attractif pour les industries de production. Toutes les entreprises ne veulent pas quitter l’Europe et nous devons faire en sorte que les dirigeants fassent d’autres choix que le continent asiatique à l’heure de choisir le lieu de leur(s) future(s) usines(s). Mais pour cela, il faut que les facteurs de localisation tels que les prix de l’énergie restent à un niveau correct et que des compromis soient trouvés avec les objectifs ambitieux de l’Europe centrale en matière de politique climatique.
Nous ferions donc bien de mesurer et d’orienter la politique énergétique non seulement en fonction d’objectifs climatiques, mais aussi économiques et sociétaux.
Nous devrions également surveiller le Parlement lorsqu’il prend des décisions en matière de politique énergétique. Des emplois et des salaires en dépendent, mais aussi des capacités de production importantes du point de vue géostratégique, dont nous pourrions profiter dans les prochaines années.
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
En janvier 2023, le Conseil fédéral avait annoncé ses objectifs pour la législature 2023 – 2027. Numérisation et intelligence arti cielle, égalité des sexes, promotion de l’intégration, renouvellement des relations avec l’UE, protection du climat... Y avait-il autre chose? Ah oui, l’approvisionnement en énergie. En 25e et dernière position, quasiment en queue de peloton, on peut lire: «La Suisse assure la sécurité et la stabilité de l’approvisionnement énergétique et encourage le développement de la production nationale d’énergie renouvelable.» La Confédération énumère à peine cinq mesures à cet effet. Elles concernent l’approvisionnement en électricité, la loi sur l’approvisionnement en gaz et la stratégie sur l’hydrogène, attendue depuis longtemps et promise pour l’automne 2024.
Un regard plus attentif sur la modi cation souhaitée de la loi sur l’approvisionnement en électricité montre qu’il est notamment question de nouvelles centrales de réserve. Qui, notons-le, seront alimentées par des énergies fossiles. Cette forme de communication voilée est révélatrice de la culture de l’interdiction de penser et de l’hypocrisie qui prévaut dans la politique énergétique actuelle. Il serait plus honnête de dire clairement les choses: on utilisera pendant longtemps encore du Diesel, pas seulement pour le chauffage ou comme carburant, mais il servira également à assurer la production d’électricité en cas d’urgence. Des groupes électrogènes de secours sont disponibles dans tout le pays et peuvent être mis en service en cas de situation d’approvisionnement tendue. Ils fonctionnent tous au fioul.
Cet arrangement, rendu nécessaire par les manquements de la politique, sera maintenu tout au long de la législature en cours. Pour atteindre en 2050 l’objectif général d’un approvisionnement énergétique sûr, abordable et respectueux du climat, un changement de mentalité est nécessaire. La politique doit reconnaître que les huiles minérales resteront un pilier important de notre approvisionnement énergétique dans un avenir prévisible. Elle doit cesser de minimiser la source d’énergie la plus able de Suisse. Il est inacceptable que la centrale de réserve de Birr soit quali ée de centrale à gaz alors qu’elle fonctionne au mazout en cas de besoin.
Et il n’est pas acceptable que la stratégie énergétique de la Confédération ignore la source d’énergie la plus importante et la délègue à la politique climatique. Même si l’éolien et le solaire prennent de l’ampleur – ce qui ne semble pas être le cas pour le moment – et que la mobilité électrique gagne en importance, non seulement au niveau des nouvelles immatriculations, mais aussi sur la route, la Suisse dépendra encore longtemps d’une industrie pétrolière fiable.
Le rôle de la politique n’est pas seulement de plani er pour après-demain, mais de veiller à ce que nous ne soyons pas à court de volonté pour construire un avenir plus durable.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Les biocarburants produits à partir de déchets végétaux et de résidus sont une mesure très efficace pour réduire les émissions de CO2 dues au trafic routier. Depuis leur introduction il y a dix ans, plusieurs centaines de milliers de tonnes de CO2 ont pu être évitées chaque année, et la tendance est à la hausse. Il s’agit de la mesure individuelle la plus efficace dans notre pays pour la protection du climat, et elle pourrait encore être étendue. Il était donc attendu que le Conseil fédéral, dans son projet de révision de la loi sur le CO2 pour les années 2025 à 2030, veuille accorder une place fixe aux biocarburants dans le catalogue de mesures.
Il prévoyait qu’à l’avenir, une part fixe des carburants mis sur le marché devait être renouvelable. Cette soi-disant obligation de transfert des carburants biogènes devait revenir aux importateurs de carburants, qui s’étaient déjà impliqués dans cette nouvelle tâche. Mais à la grande surprise du secteur, le Conseil national a supprimé en décembre l’obligation de transfert de la loi sans la remplacer. On ne peut que s’interroger sur les raisons de cette décision, compte tenu des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2 adoptés simultanément au niveau national.
Peut-être que le Conseil fédéral s’est demandé quelle était la pertinence d’introduire un nouvel instrument pour les cinq prochaines années alors que le précédent – l’obligation de compensation – a suf samment encouragé les biocarburants? Cette considération rationnelle n’a toutefois guère été déterminante. Il ressort plutôt du procès-verbal du Conseil fédéral que l’obligation de transfert a été supprimée par crainte des coûts qu’elle aurait engendrés. Sur ce point, le Parlement et les autorités fédérales restent marqués par l’échec cuisant, dans les urnes, de la loi précédente, il y a bientôt trois ans. Depuis lors, on souligne à chaque occasion que la protection du climat sera gratuite grâce au projet actuel. Les prix de l’essence ne sont guère populaires en votation, selon le ministre de l’énergie Albert Rösti.
Un autre groupe du Conseil national a de nouveau rejeté l’obligation de transfert, apparemment convaincu que le transport routier sera bientôt entièrement électrifié et que les biocarburants devraient être réservés à l’aviation. Les chiffres et les déclarations récemment publiés par l’industrie automobile laissent cependant peu de place à de tels rêves. Le nombre d’automobiles équipées d’un moteur à combustion est constant depuis des années, les carburants liquides seront également utilisés dans le transport routier pendant des décennies. Il est – ou serait – raisonnable de les remplacer progressivement par des composants respectueux du climat tels que les biocarburants.
Nous avons déjà bien avancé sur cette voie. Après la décision du Conseil national, la question est de savoir ce qu’il faut faire pour la suite.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Editorials 2023
Fin novembre, des milliers de parties prenantes de tous bords se rendront à Dubaï pour participer à une nouvelle Conférence des Nations Unies sur le climat (COP28). Ils se pencheront sur les nombreuses questions qui se posent sur la voie de l’objectif «zéro émission nette». Le fait que cette conférence se déroulera dans un pays pétrolier suscitera certainement de nombreuses discussions sur la nature et le calendrier de l’abandon du pétrole et sur le rôle de l’industrie pétrolière. Le conflit qui s’est rallumé brutalement au Proche-Orient contribue à ce que, outre la protection du climat, la sécurité de l’approvisionnement soit également à l’ordre du jour de la COP28.
Le président désigné de la COP28, Sultan Ahmed al-Djaber, est également le PDG de la compagnie pétrolière nationale des Émirats arabes unis, Adnoc. En amont de la conférence, il a appelé à ce que tout le monde s’assoie autour de la table pour faire avancer la transition énergétique. De son côté, le directeur général de Total, Patrick Pouyanne, a déclaré que les investissements dans les futures énergies neutres pour le climat ne devaient pas faire oublier l’approvisionnement ici et maintenant. Son collègue de BP, le PDG intérimaire Murray Auchincloss, s’exprime lui aussi de manière simple et claire: «What I know is that the world needs oil and gas today», soit: «Ce que je sais, c’est que le monde a besoin de pétrole et de gaz aujourd’hui.» Il faut donc, selon lui, poursuivre les investissements dans l’extraction de ces sources d’énergie et défossiliser leur utilisation. Cela implique une évaluation de la technologie dite CCS, à l’aide de laquelle le CO2 émis lors de la combustion du pétrole et du gaz doit être capturé et définitivement stocké dans le sol.
On commence donc à comprendre que la réduction des énergies fossiles ne constitue pas seulement un défi technique sans précédent, mais qu’une mesure d’une telle ampleur doit être prise en tenant compte de la réalité socio-économique de la population. Pour ce faire, l’ordre tranchant du «zéro net d’ici 2050» n’est tout simplement pas un instrument approprié, il a même un effet contre-productif. Car d’un point de vue global, la soif de pétrole est loin d’être étanchée, malgré les efforts de nombreux pays pour réduire la consommation de cette source d’énergie. L’OPEP s’attend entre-temps à une augmentation de la demande quotidienne plus importante que prévu: d’ici 2045, elle sera plus élevée qu’aujourd’hui, avec 116 millions de barils (159 litres chacun), selon les estimations du cartel de production.
Il est clair que la révision des objectifs et des mesures climatiques, attendue depuis longtemps, ne sera pas accueillie avec un enthousiasme béat à Dubaï. La question politique intelligente à saisir à bras-le-corps n’est toutefois pas de savoir si nous atteindrons l’objectif zéro net en 2050, mais plutôt de savoir comment garantir l’approvisionnement énergétique pendant la transition.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Année après année, le nombre de kilomètres parcourus par le trafic individuel motorisé augmente et les prix du pétrole brut se maintiennent à un niveau élevé. Malgré cela, le ménage suisse moyen n’a pas besoin de se priver pour faire le plein de Diesel ou d’essence, comme c’était le cas il y a 15 ans. L’enquête sur le budget des ménages de l’Office fédéral de la statistique montre que ces dépenses sont restées à peu près stables en termes de montant, et qu’elles ont même tendance à baisser. Cela s’explique en grande partie par les progrès technologiques réalisés dans le domaine des moteurs à combustion. La situation est cependant moins bonne sur les dépenses pour les transports publics: les billets valables dans les communautés de transport régionales et urbaines pèsent plus de deux fois plus lourd dans le budget des ménages qu’à l’époque.
Ces conclusions devraient en surprendre plus d’un, puisque nous sommes constamment confrontés au prix de l’essence, perçu comme (trop) élevé. Chez Avenergy Suisse, il ne se passe pas un jour sans que les médias ne nous demandent pourquoi et comment le prix des carburants est fixé. Nos réponses sont peut-être un peu monotones. Le prix à la pompe se compose: a) du prix du pétrole brut, b) des coûts de transport, c) des coûts d’exploitation individuels de la station-service. Le cours du dollar joue également un rôle. Mais tout cela ne suffit pas. Il y a un autre facteur, qui prend de plus en plus d’importance et dont on ne parle pas assez: le coût de la transformation du pétrole brut en carburant.
Lorsque les prix de l’énergie ont explosé l’année dernière à la suite de l’attaque russe contre l’Ukraine, cela s’est répercuté sur le raffinage: non seulement les prix des matières premières se sont envolés, mais aussi ceux de l’énergie de traitement. De plus, après la fin de la pandémie de Covid-19, la demande en carburants a augmenté partout, alors que les capacités de raffinage en Europe étaient à la limite. Ce serait le moment d’investir. Mais qui pourrait bien investir dans l’économie pétrolière sur un continent qui s’est engagé dans le «Green Deal» et qui envisage de se débarrasser complètement du pétrole dans un peu moins d’un quart de siècle? La pénurie et la menace de négligence des capacités de raffinage sont une conséquence de la politique climatique européenne.
Entre-temps, il faut établir de nouvelles voies d’importation pour les produits pétroliers, qui sont plus longues et souvent plus compliquées, notamment en raison des sanctions contre la Russie. L’écart entre la cotation du pétrole brut et le prix des carburants devrait donc continuer à se creuser. Le facteur «transformation», longtemps oublié, jouera à l’avenir un rôle déterminant dans le prix des produits.
Si, à l’avenir, le prix du carburant se fera davantage sentir dans le porte-monnaie, cela ne sera pas seulement dû à la hausse des marchés du pétrole brut, mais aussi à des choix politiques internes qui rendront plus chères la transformation.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Des pays se remettent en question dans cette période énergétique agitée.
Les prochains championnats du monde d’aviron n’auront lieu que début septembre à Belgrade, mais au cours du premier semestre 2023, que ce soit en Europe ou plus loin, les chefs d’entreprise et les politiciens se sont déjà exercés à la discipline politique du retour en arrière. Alors qu’en Grande-Bretagne, Vattenfall a stoppé la planification de son plus grand parc éolien offshore parce que le gouvernement britannique n’était pas prêt à lui donner des garanties en cas de pertes financières, le Premier ministre Rishi Sunak a annoncé que son gouvernement attribuerait dans les mois à venir plus de 100 nouvelles licences d’extraction de pétrole et de gaz au large des côtes britanniques.
Au Liechtenstein, les protestations contre l’interdiction du chauffage au pétrole et au gaz ont été si fortes que les projets ont été aussitôt abandonnés. Les géants européens de l’énergie néo-verte comme Shell, BP ou Total ont été tellement distancés en bourse par leurs concurrents américains comme Exxon, qui misent tout sur les énergies fossiles, qu’ils se sont vus contraints de corriger massivement le tir et d’investir à nouveau résolument dans l’extraction fossile.
Même les constructeurs automobiles allemands osent sortir du bois, à commencer par le patron de BMW, Oliver Zipse, qui ne fixe pas de date d’abandon du moteur à combustion pour son groupe et qui veut continuer à développer des gammes de modèles à combustion. On pourrait allonger la liste à l’infini, mais les politiques, les médias et la société comprennent qu’il est temps de se réveiller et de mettre fin aux rêves que le secteur faisait dans les années 2010. Ou comme l’a si bien dit Patrick Pouyanné, le patron de Total Energies: «It’s not a question of religion, it’s a question to face the reality (ce n’est pas une question de religion, c’est une question de faire face à la réalité)».
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
Il y a deux semaines, Socar Switzerland inaugurait sur l’aire du Grauholz, près de Berne, la pr mière station-service à hydrogène d’autoroute. Moins d’un mois auparavant, Avia Distribution avait ouvert une nouvelle station-service à Puidoux, dans le canton de Vaud. Sans qu’aucune subvention publique ne lui soit octroyée, le secteur pétrolier a ainsi construit 15 stations-service à hydrogène en à peine cinq ans, quatre autres vont suivre cette année encore. Avec pareille infrastructure, la Suisse dispose désormais de la couverture la plus dense d’Europe. L’approvisionnement du nombre croissant de véhicules à pile à combustible est ainsi garanti, et ce avec de l’hydrogène vert – il faut le souligner.
Après avoir été retardée par le Covid et la guerre en Ukraine, la production d’hydrogène vert (produit à l’aide d’électricité renouvelable) prend également son envol. Actuellement, l’électricité nécessaire à l’élaboration est produite par deux centrales hydroélectriques. Ces deux sites suffisent pour l’heure à répondre à la demande helvétique en carburant. On pourrait légitimement penser que tout va pour le mieux dans le monde de l’hydrogène. Pourtant, ce n’est pas vraiment le cas, la Confédération n’ayant pas encore élaboré de stratégie concrète quant au développement du réseau. A la lumière de la réussite des exploitants de stations-service jusqu’à présent, cela peut paraître étonnant, d’autant qu’à l’étranger, la Commission européenne a par exemple fait part de sa volonté de faire baisser les prix de l’hydrogène vert à partir de cet automne, en subventionnant la production de ce précieux carburant. Les États membres soutiendront la construction de l’infrastructure par des contributions de plusieurs milliards d’euros. En outre, l’Europe s’apprête à mettre en place un système de gazoducs qui acheminera un jour de grandes quantités de gaz depuis des sites de production situés au nord et au sud du continent, et ce afin d’alimenter les centres in- dustriels. Malheureusement, il n’est pas sûr que la Suisse soit intégrée dans les discussions entourant ce système d’acheminement, ce qui ne manque pas de faire peur à certains. Dans l’intérêt d’une concurrence loyale et de la sécurité d’approvisionnement, il est important aussi que la politique et les autorités helvétiques se réveillent. Et le plus tôt sera le mieux.
Malgré la mise en place de ce réseau, l’UE risque de couper l’herbe sous le pied à l’hydrogène avant même que les possibilités de cette technologie aient pu être testées dans toute leur ampleur. En effet, les directives bureaucratiques de Bruxelles pour la production d’hydrogène vert et des futures sources d’énergie synthétique qui en seront issues obéissent à l’idéologie plutôt qu’à la réalité technique. Selon les volontés de Bruxelles, la production d’hydrogène ne sera possible que lorsque de l’électricité renouvelable est disponible. A titre de comparaison, ce serait comme si une voiture électrique ne pouvait être rechargée que lorsque le soleil brille ou que le vent souffle au-dessus d’elle. L’avenir nous dira si de telles subtilités ne sont pas susceptibles de bloquer les investissements dont la technologie a pourtant un urgent besoin. Il serait dommage que la folie réglementaire européenne sonne le glas de l’hydrogène vert.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
A notre époque, lors de l’achat d’une nouvelle voiture, il est important de se poser la question de rouler avec un véhicule électrique et s’il correspond à nos besoins: puis-je le recharger et l’utiliser pour mes trajets? Est-ce que je peux et veux le payer, l’amortir, le revendre? Est-ce que les modèles me plaisent? Dans onze ans, les automobilistes de l’UE n’auront plus à se poser ce genre de questions, car l’UE aura pris ces décisions à leur place, sans autre discussion. En Suisse aussi, nous n’allons pas pouvoir échapper à ce nouveau monde merveilleux. Mais ne nous faisons pas d’illusions: en 2035, l’Europe ne disposera pas d’une infrastructure complète de stations de recharge d’où s’écoulera de l’électricité climatiquement neutre, et il n’y aura pas non plus suffisamment de carburants synthétiques abordables sur le marché pour permettre aux gens d’avoir accès à une voiture neuve à moteur à combustion.
On attend avec impatience de voir grâce à quelles astuces juridiques et à quelles pirouettes rhétoriques la caste des décideurs de Bruxelles entend imposer sa politique: l’année dernière, la part des véhicules sans réservoir, c’est-à-dire des BEV, s’élevait à 10%, selon l’association européenne des constructeurs automobiles ACEA.
Les 90% restants étaient des véhicules avec réservoir, c’est-à-dire des hybrides et en majorité des véhicules à combustion pure. Il n’est guère surprenant que les nouvelles immatriculations de véhicules purement électriques soient très diversi ées au sein de l’UE: dans le sud et l’est, leur part avoisine généralement les 3%. En revanche, en Suède, elle est de 20%, aux Pays-Bas de 17%, au Danemark de 15% et en Autriche et en Allemagne de 13%.
En dehors de l’UE, l’exemple de la Norvège, pays pétrolier, est particulièrement parlant et intéressant: entre 2015 et 2020, la part des BEV dans les nouveaux véhicules immatriculés a augmenté de manière significative, passant de 16% à plus de la moitié. Mais depuis que le gouvernement norvégien a commencé à restreindre les privilèges accordés jusqu’alors aux véhicules électriques, leur part s’est réduite à 42%. En fait, sans soutien de l’Etat, l’électromobilité n’est pas très bien accueillie par la population, c’est une évidence. Les nouvelles immatriculations de BEV en Europe sont en forte corrélation avec le revenu national, comme le montre d’ailleurs une enquête publiée en avril dernier par l’ACEA. Tout le monde n’a effectivement pas les moyens de s’offrir un véhicule électrique.
Quelle est la situation en Suisse? En moyenne, la part des véhicules sans réservoir s’élève à 18%, une valeur stagnant depuis la mi-2021. Selon les relevés de l’Office fédéral de la statistique, les BEV représentent actuellement environ 2,5% du parc des voitures particulières. Il n’est pas donc surprenant que la commune zougoise de Risch, par exemple, compte plus de véhicules électriques immatriculés (7,5%) que la vallée grisonne de Safiental, où l’on compte un BEV pour 250 voitures privées (0,41%).
Dans cette Suisse considérée comme prospère par rapport à d’autres pays, cette différence ne devrait pas nécessairement être liée au pouvoir d’achat de la population concernée, mais à l’appréciation personnelle de savoir si la voiture électrique est adaptée à la vie quotidienne, au-delà de l’air du temps. L’État sera-til un jour capable d’en juger avec toute la clarté possible?
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
«Marchand de sable, cher Marchand de sable, ce n’est pas encore l’heure». C’est ce que l’on entend durant l’émission alémanique du soir destinée aux enfants, à la télévision. C’est avec une justification similaire que le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) de la conseillère fédérale Viola Amherd a fait rejeter mi-mars au Conseil national une intervention du conseiller national Bastien Girod (Verts).
Le texte demandait à l’armée de construire une installation pour la production de méthanol de synthèse, neutre en CO2, pour alimenter ses véhicules. Réponse de la conseillère fédérale: le méthanol renouvelable n’est qu’une possibilité parmi d’autres. On ne peut pas encore dire quel est le potentiel réel d’utilisation du méthanol comme carburant pour les véhicules et les avions. En voilà une argumentation étonnante, pile lorsque la nouvelle loi sur le climat et la loi sur le CO2 sont soumises au débat. La Berne fédérale est manifestement d’avis qu’elle sait exactement à quoi ressemblera l’avenir et quelles technologies méritent ou non d’être encouragées. Le législateur et le gouvernement ne semblent pas avoir de problèmes avec les interdictions, les prescriptions, les quotas de mélange et les subventions nébuleuses. Mais lorsqu’il s’agit de réaliser pour une fois un projet visionnaire qui aurait un impact réel et offrirait à l’économie et à la recherche suisses la possibilité de renforcer leur rôle de pionnier dans le domaine des nouvelles technologies énergétiques, on préfère soudain attendre en invoquant la neutralité technologique. Dommage, c’est une occasion manquée pour la promotion des carburants renouvelables.
En Allemagne, le gouvernement sait aussi y faire lorsqu’il s’agit de détruire sa propre industrie automobile. Notre voisin allemand a littéralement chuté avec près de 5% de brevets en moins déposés en 2022, selon le classement mondial, dévoilé en mars. Partout ailleurs, ce chiffre est en hausse. Cela s’explique par le manque de brevets dans l’industrie automobile, la fabrication d’appareils électriques et la chimie fine. Peut-être que l’Allemagne devrait tout de même réfléchir à deux fois avant de laisser le moloch bureaucratique de Bruxelles faire plus ou moins comme il veut. Avec la forme actuelle de la politique économique, l’Europe se crée certainement de mauvaises conditions de départ pour l’avenir, si l’on considère que tant les Etats-Unis (+3%) que la Chine (+15%) ont déposé davantage de brevets que l’année précédente.
De son côté, toujours si l’on croit le classement, la Suisse occupe une fois de plus la première place parmi les pays qui déposent le plus de brevets, grâce à l’industrie pharmaceutique. Notre pays ferait certainement bien de continuer à suivre une voie indépendante et de bien réfléchir, au cas par cas, à la réglementation européenne qu’elle souhaite vraiment adopter et à celle à laquelle elle préfère ne pas toucher. Les nouvelles règles en matière d’émissions pour les véhicules sont désormais aux portes.
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
Pour sa première intervention en tant que ministre de l’énergie, le conseiller fédéral Albert Rösti a plaidé pour de nouvelles installations de production d’énergie, devant un parterre de représentants du secteur de l’électricité. Et même si les barrages et les installations solaires alpines font débat actuellement, il s’est dit ouvert à des méthodes de production faisant appel à la technologie. Sans néanmoins mentionner clairement les centrales au pétrole. Et pourtant, c’est un fait: nous utilisons le pétrole, faute d’alternatives équivalentes.
En cas de coup dur, la Suisse aura de l’électricité au cours des prochains hivers en utilisant des générateurs diesel. Il y a là comme un air de déjà-vu: après la Seconde Guerre mondiale, la production d’électricité était à la peine. A l’époque, on a longtemps hésité entre l’emploi des centrales à gaz, à pétrole ou nucléaire. Seul le pétrole pouvait suivre le développement économique. Grâce à des voies d’approvisionnement solides, il était disponible rapidement, en quantités croissantes et à des conditions relativement avantageuses. La consommation a alors connu une croissance fulgurante, contribuant ainsi de manière déterminante à un approvisionnement sûr du pays. Voilà qui me fait dire que sans une production d’électricité sûre, la transition énergétique fixée pour le milieu de ce siècle restera une illusion. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle est à peu près la seule qui met tout le monde d’accord dans le secteur énergétique. Il ne faut pas s’attendre à ce que les con its entre les nombreux groupements d’intérêts soient bientôt réglés, et encore moins que tous les obstacles techniques soient levés. Les milieux de gauche disent volontiers que le secteur pétrolier torpille le développement de l’électricité renouvelable.
C’est un discours absurde, car cette branche préférerait de loin transformer l’électricité en pétrole, plutôt que de transformer le pétrole en électricité. Le secteur pétrolier fait partie de la solution et non du problème. De même que nous aurons besoin de plus d’électricité à l’avenir, nous continuerons à dépendre de sources d’énergie liquides. Leurs propriétés en termes de densité énergétique, de capacité de stockage et de transport demeurent inégalées à ce jour. Ces énergies sous forme liquide conserveront donc à l’avenir un rôle central, tant pour un approvisionnement fiable que dans d’autres domaines d’utilisation.
Nous voulons nous affranchir du pétrole, mais nous ne pouvons pas nous passer d’agents énergétiques liquides: ils devront être produits à l’aide de la biomasse, de l’énergie solaire ou de l’électricité. Quiconque est aujourd’hui actif dans le secteur pétrolier et souhaite exploiter son entreprise au-delà de 2050 se ralliera donc à la demande de notre ministre de l’énergie: nous avons besoin rapidement de davantage d’électricité – une électricité fiable, abordable, produite avec des méthodes à faible émission de CO2.
Le nouveau conseiller fédéral Albert Rösti a parlé d’un chemin long et escarpé qui nous attend. C’est vrai. Et avant d’atteindre ce sommet, nous continuerons à dépendre jusqu’à nouvel ordre du pétrole, comme force motrice et comme soutien efficace.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Editorials 2022
La crise énergétique qui menace résulte des choix politiques trop unilatéraux.
Lorsque l’on parle de l’approvisionnement énergétique de la Suisse avec des experts en énergie, l’image du «trilemme» énergétique revient fréquemment. Derrière ce terme quelque peu énigmatique se cache l’idée qu’une politique énergétique réussie doit trouver un équilibre entre les trois aspects suivants: premièrement, la sécurité d’approvisionnement – y a-t-il toujours suffisamment d’énergie disponible? Deuxièmement, le coût – l’énergie est-elle abordable? Et troisièmement, la durabilité – quel est l’impact de cette énergie sur l’environnement? Si l’un de ces trois aspects prend le dessus, par exemple en raison d’une intervention politique, l’approvisionnement énergétique risque de ne plus être assuré.
Or, c’est exactement ce qui s’est passé ces dernières années. Dans quelle mesure notre approvisionnement énergétique doit être respectueux du climat et de l’environnement? La politique énergétique suisse se pose cette question depuis longtemps. Désormais, le pétrole, le gaz et le nucléaire sont sous pression car leur nocivité environnementale est indéniable. L’énergie atomique a été enterrée de fait avec le oui de la population à la Stratégie énergétique 2050, et l’abandon des énergies fossiles doit également devenir une réalité dans quelques décennies. Le vide qui en résulte doit être entièrement comblé par des sources d’énergie renouvelables telles que le photovoltaïque, l’énergie éolienne, le biogaz et l’énergie hydraulique. Cette stratégie a été élaborée exclusivement dans l’optique de protéger le climat et l’environnement. Tant la rentabilité que la disponibilité ont été sciemment négligées, ce qui est dangereux.
C’est ce que l’on peut appeler une stratégie de beau temps: tant que les chaînes d’approvisionnement mondiales fonctionnaient sans entrave, que l’on pouvait importer suffisamment d’électricité et que les centrales nucléaires vieillissantes continuaient à être exploitées de part et d’autre de la frontière, les faiblesses évidentes de la Stratégie énergétique 2050 ne se voyaient pas. Ce n’est plus le cas, les marchés sont devenus fous, les vieilles certitudes n’ont soudain plus cours, et la crise guette.
Il s’agit désormais de reconsidérer l’importance des deux autres angles du «triangle énergétique». Avons-nous suffisamment d’énergie à disposition, à bon prix et livrable rapidement? Si l’on veut pouvoir répondre par l’affirmative à cette question, on ne peut pas faire l’impasse sur le pétrole. Seuls le diesel, l’essence et le mazout ne souffrent d’aucune pénurie, et ceux qui conduisent une voiture à moteur à combustion ou qui se chauffent au mazout n’ont non seulement rien à craindre cet hiver, mais ils économisent aussi de l’électricité et contribuent ainsi à renforcer la stabilité de l’approvisionnement énergétique. Parfois, la réalité est plus complexe que certains milieux ne le souhaiteraient. Hélas, comme souvent, il faut d’abord une crise pour que ceux-ci s’en rendent compte.
Ueli Bamert, Responsable politique chez Avenergy Suisse
L’un des mes voisins veut stocker des barils d’essence de secours dans le hall d’entrée. Une très mauvaise idée, dans tous les cas!
Il y a quelques jours, je me rendais au parking souterrain de mon appartement lorsque j’ai été appelé par l’un de mes voisins dans le hall d’entrée. Plutôt sympa malgré son petit look de «bad boy» (il a des tatouages et roule sur une Harley customisée), ce jeune homme d’une trentaine d’années ne rechigne jamais à mettre la main à la pâte dans le bâtiment. M’interpellant, il me demandait: «Tu t’y connais en carburant et tout ça, toi?» «Oui, je m’y connais un peu», lui ai-je répondu, sans en dire plus de ma profession. Inquiet, il m’a fait part de ses préoccupations concernant l’hiver à venir. Ne voulant pas se retrouver soudainement sans carburant en cas de panne de courant aux stations d’essence, il cherchait des solutions. Pour cela, il s’était déjà procuré deux barils vides auprès d’un de ses collègues. «Pardon?», lui ai-je demandé. Oui, il avait déjà récupéré les deux barils de 150 litres chacun et il souhaitait savoir combien de temps l’essence pouvait se conserver dans les réservoirs. A la fin, il m’a demandé si cela posait un problème s’il les laissait en bas, dans l’entrée. «Tu es sérieux?», lui ai-je répondu. Ma réaction et mon regard inquiets lui ont fait comprendre que ce n’était pas une bonne idée. «300 litres d’essence dans un hall d’entrée? Non, cela ne l’est pas vraiment...»
Véridique, cette histoire vous fait sans doute sourire. Et pourtant, elle est tout à fait sérieuse. Ce qui soulève une question: quelle est la gravité de l’échec de l’État pour que des citoyens ordinaires, comme mon cher voisin, se sentent obligés de stocker de l’essence pour l’hiver, en raison d’une éventuelle panne de courant à la station-service? C’est d’autant plus troublant qu’il faut reconnaître que cette situation n’est pas totalement irréaliste.
Chers lecteurs, ne stockez pas d'essence à votre domicile. Vous ne feriez que vous attirer des ennuis avec les autorités. Nous ferons tout pour vous approvisionner en temps et en heure, et ce même si une crise venait à se déclencher. Néanmoins, lorsque les prochaines votations sur l’énergie, l’environnement et le climat auront lieu, faites-moi plaisir: lisez s’il vous plaît le li vret de votation de manière critiques en prenant en compte la sécurité d’approvisionnement énergétique.
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
Notre dépendance au pétrole reste forte, alors que nous vivons un tournant historique.
Celui qui envisage aujourd’hui l'achat d’une nouvelle voiture doit passer en revue de nombreux facteurs. Les questions abondent: faut-il aujourd’hui investir dans un modèle à moteur thermique au vu de la menace d’interdiction? Aura-t-on encore le droit de rouler partout avec? Et surtout, où en seront les prix de l’énergie? Jusqu’à présent, ces interrogations ont incité de nombreuses personnes à basculer vers une voiture électrique.
Toutefois, ce sont ces mêmes personnes qui craignent une coupure de courant pour leur voiture électrique; rien ne leur garantit non plus aujourd’hui d’avoir de l’énergie pour leur auto électrique à prix correct, sans oublier que la taxation des véhicules électriques va être revue à la hausse. Alors que faire? Reprendre à nouveau un véhicule à combustion?
«Ma contribution aux économies d’électricité, c’est ma voiture à essence». Voilà ce qu’a affirmé un auditeur, à l’occasion d’un sondage réalisé par une radio. Le propos peut paraître provocant, mais il comporte une part de vérité. Tout ce qui ne consomme pas d’électricité ou de gaz contribue à la sécurité de l’approvisionnement énergétique pour l’hiver prochain, et peut-être même bien au-delà. Les importateurs d’automobiles rappelent à ce titre qu’il n’y a que 70 000 véhicules électriques en circulation, pour une consommation totale de 0,4% de l’électricité du pays. Cette information est-elle vraiment rassurante, à l’heure où la politique envisage de produire du courant avec des centrales à pétrole?
Les manquements de la politique énergétique de ces dernières années livrent des fruits assez amers. Les uns, comme le ministre allemand de l’économie Robert Habeck, tournent leur regard vers les deux et prient pour que l’hiver ne soit pas trop rude. Le Parlement fédéral verse dans l’hyperactivité et planifie le développement des énergies renouvelables au détriment de la protection de la nature et du paysage, ce qui sera trop tard pour les hivers à venir; des oppositions sont de toute façon à prévoir.
De nombreuses voix sonnent l’alerte face à une possible pénurie de métaux essentiels pour les panneaux photovoltaïques, sans parler du manque de personnel qualifié pour la construction et l’entretien de ces installations. Face à cette agitation, le travail silencieux du secteur pétrolier détonne. Oui, les prix de l’énergie augmentent ici aussi, et oui, l’approvisionnement a déjà été plus facile à gérer par le passé, mais il n’y a pas de perturbation majeure du marché pétrolier.
La période actuelle nous montre que nous sommes dépendants de ce pétrole tant décrié, surtout en période de bouleversements et de crises politiques. C’est un constat clair. La transition énergétique doit avoir lieu, cela ne fait aucun doute. Mais il est aussi vrai que nous ne sommes pas encore prêts à faire une croix sur le pétrole.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Les voitures électriques seront bientôt taxées, et ce n’est que justice.
En plus de la mauvaise nouvelle sur la probable pénurie de gaz et d’électricité, nous avons appris fin juin que les voitures électriques allaient passer à la caisse à partir de 2030 avec une taxe kilométrique. Le Conseil fédéral réagit ainsi à la baisse des recettes de l’impôt sur les huiles minérale (ndlr: interview du chef de l’Ofrou dans la RA du 7 juillet 2022), mais ce qu’il faut savoir, c’est que le fonds pour les routes nationales sera plus ou moins vide d’ici 2030. Afin d’assurer le financement des infrastructures de transport, les départements de l’environnement et des transports (DETEC) et celui des finances doivent présenter au Parlement, d’ici fin 2023, un paquet de lois permettant d’introduire une taxe de remplacement sur les véhicules à motorisation alternative.
Elément réjouissant, ce projet ne touchera pas à l’impôt existant sur les huiles minérales. Aucune taxe supplémentaire n’est prévue pour les véhicules équipés exclusivement d’un moteur à combustion. Mais, plus important encore, la mobilité électrique doit sortir de son espace protégé et assumer les coûts qu’elle engendre. L’introduction de l’e-mobilité implique d’énormes investissements dans l’infrastructure, de la production d’électricité renouvelable à sa distribution en temps voulu et à grande échelle sur chaque place de stationnement. On ne sait pas encore qui prendra en charge ces dépenses, qui s’ajouteront aux besoins financiers actuels du fonds routier.
Pour l’instant, ce projet suscite des froncements de sourcils, surtout dans les milieux bourgeois, en raison du temps à disposition: pourquoi attendre plus de sept ans avant l’entrée en vigueur de cette redevance? Le DETEC prévoit et exige une croissance rapide de l’e-mobilité. Cette dernière n’est plus une nouveauté et elle demeure cependant encouragée par de nombreux instruments. Sa taxation n’est pas seulement dans l’intérêt de la caisse routière, mais aussi une question d’équité et de justice sociale. D’une certaine manière, il est surprenant que le canton de Bâle-Ville vote cet automne sur l’initiative sur la justice climatique, qui fixe l’objectif de zéro émission de gaz à effet de serre pour 2040. Cette initiative, si elle est acceptée, signifierait le renoncement aux moteurs à combustion, alors que la Confédération veut taxer les VE au plus tôt en 2030.
Espérons que les commissions des transports fassent bouger le Conseil fédéral. Les positions politiques laissent présager un débat intense: la gauche veut ménager les transports publics et donc exclure les bus électriques de la taxe, les Verts ne sont pas intéressés par le financement des routes, et les bourgeois craignent l’introduction, en douce, de nouvelles taxes environnementales. A la fin, il s’agit de convaincre la population du changement de système, c’est elle qui aura le dernier mot dans les urnes.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Non, l’Union européenne n’a pas interdit le moteur à combustion pour 2035. Même en l’état, cette proposition marque l’ignorance et le manque de vision des politiciens européens.
Plusieurs médias suisses ont rapporté la décision européenne d’interdire le moteur à combustion interne à partir de 2035. Cette information est fausse: le Parlement européen a approuvé une proposition d’interdiction émanant de la Commission européenne. Cette proposition va désormais être soumise au «trilogue», une particularité du processus législatif de l’UE. C’est en effet à cette occasion que les gouvernements des Etats membres – le Conseil de l’UE – vont pouvoir s’exprimer (et c’est ce qu’on nomme précisément le «trilogue»). Ils pourront désormais faire valoir leurs intérêts nationaux et modifier le projet de loi. Il faut, dès lors, s’attendre à une certaine opposition en provenance de nations dépendant fortement de l’automobile, comme l’Allemagne, la République tchèque, la Hongrie et la Pologne. Même le ministère suédois de l’énergie s’est montré critique envers cette idée; pourtant, les Suédois, comme on le sait, sont nettement plus favorables à l’électromobilité que les pays d’Europe centrale. Il y a dès lors de bonnes chances que cette proposition, émanant de la bureaucratie bruxelloise, subisse des amendements, voire qu’elle soit refusée en bloc.
Néanmoins, l’existence même du projet donne à réfléchir. D’un côté, la Commission européenne dévoile sa volonté de s’écarter de l’ouverture technologique, de la liberté économique et de la concurrence, pourtant vecteurs de réussite. A la place, l’UE préfère mettre une économie planifiée, rythmée par la bureaucratie. De l’autre côté, les parlementaires de l’Union européenne trahissent leur parfaite ignorance en matière d’énergie, de technologie et d’innovation. L’industrie des moteurs sera d’une importance cruciale pour l’Europe, au cours des 20 prochaines années, non seulement pour les applications civiles lourdes, mais aussi pour le secteur militaire. Une interdiction des moteurs thermiques pour les voitures particulières priverait donc par ricochet cette industrie d’une partie de ses moyens de subsistance.
La même remarque s’applique pour les carburants synthétiques, qui aideront à maintenir les énormes flottes de véhicules thermiques qui existeront toujours en 2050. En sabrant le marché de ces produits pour des raisons idéologiques, les investissements pour le financement et le développement des carburants synthétiques vont s’arrêter net: c’est la chose la plus stupide à faire, si l’on veut bien sûr un jour voyager en avion, partir en croisière ou utiliser des machines de chantier avec un bilan carbone neutre.
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
Le secteur des transports est une nouvelle fois sous la menace de restrictions, alors qu’il a bien respecté ses engagements.
A cause de la dramatique situation en Ukraine, cette nouvelle est passée presque inaperçue courant avril: les émissions de CO2 de la Suisse sont en baisse constante. Les émissions par habitant y sont deux fois moins élevées que la moyenne des pays de l’OCDE. Le secteur industriel a fait sa part: il a réduit ses émissions de plus de 15%, atteignant ses objectifs. Dans le même temps, le produit intérieur brut suisse a presque triplé. Et pourtant, l’ambiance n’est pas aux congratulations, car la Suisse est passée à côté de son objectif climatique fixé pour 2020. Oui, la Suisse avait comme objectif de réduire ses émissions de 20%, par rapport au niveau de 1990, comme le prescrit la loi sur le CO2. Au lieu de cela, la Suisse a abattu ses émissions de 19% . La «pression pour agir reste toujours aussi forte», peuton lire par exemple dans un magazine spécialisé dans les énergies renouvelables. Une fois de plus, le secteur des transports, où les émissions de gaz à effet de serre s’en tiennent au niveau de 1990, est pointé du doigt.
Si l’on examine attentivement les chiffres, on s’aperçoit que derrière ce soi-disant échec se cache, en fait, d’autres bonnes nouvelles. Sur la base des données de la Confédération, l’association Routesuisse estime que les émissions relatives de gaz à effet de serre du trafic routier privé ont diminué de 30% depuis 1990, si l’on tient compte de l’augmentation des kilomètres parcourus et de l’obligation de compenser les émissions de CO2. En effet: entre 1990 et 2019, le transport privé de personnes a augmenté de 25 milliards de personnes-kilomètres, et le transport de marchandises par la route a augmenté de cinq milliards de tonnes-kilomètres. C’est en partie la conséquence de la forte croissance démographique, la Suisse est passée de 6,7 à 8,6 millions d’habitants durant cette période, pendant que l’économie a elle aussi prospéré.
Les objectifs de réduction absolus fixés par la loi sur le CO2 ne peuvent pas être sacro-saints s’ils ne tiennent pas compte des conditions générales telles que la croissance économique et démographique. En pondérant avec ces éléments, nous pouvons affirmer que la Suisse est en très bonne voie pour la protection du climat. On pourrait même aller plus loin et porter haut le constat suivant: malgré la croissance de la population, la Suisse a atteint son objectif climatique 2020, avec un petit écart qui se situe, probablement, dans le domaine de l’imprécision statistique. Cela reste une performance exceptionnelle! En revanche, au vu des nuages noirs qui s’amoncellent actuellement sur l’économie, la menace d’in ation et des pénuries d’énergie qui se dessinent, il semble plutôt étrange et mesquin de pointer du doigt la mobilité en faisant planer sur elle des menaces de restrictions.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Après analyse, la nouvelle loi sur le C02 se révèle être un leurre.
De l’avis général, ce sont les prix des carburants qui ont eu raison de la loi sur le C02 l’été dernier. Selon toute vraisemblance, la loi aurait eu l’effet d’augmenter de 12 à 15 centimes les taxes étatiques sur le litre de carburant. En retravaillant le texte, le département de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s’est efforcé de tirer les leçons de ce désastre. La ministre de l’énergie a affirmé, lors de la présentation du nouveau projet en décembre, que les objectifs climatiques seraient atteints, même sans ponctionner le porte-monnaie de la population. Les taxes ont été remplacées par des incitations, et les interdictions, par des investissements. Trop beau pour être vrai? En y regardant de plus près, le nouveau projet est un emballage trompeur qui pèsera sur le porte-monnaie des automobilistes exactement de la même manière que le projet qui a été rejeté. Au centre, cette fois: l’idée de rendre obligatoire les biocarburants à moyen terme.
Depuis 2008, les biocarburants renouvelables à base de déchets sont encouragés en étant exonérés de l’impôt sur les huiles minérales. L’exonération fiscale n’a toutefois jamais pu compenser, à elle seule, le surcoût des carburants renouvelables. C’est pourquoi ils sont, en outre, soutenus par le mécanisme de compensation du CO2, appelé contribution Klik. Cette combinaison de mesures d’encouragement rend les biocarburants compétitifs par rapport aux carburants fossiles et permet de s’adapter avec souplesse aux conditions du marché. Au cours des dix dernières années, ils ont connu sur le marché suisse une croissance forte et réjouissante, parfois exponentielle. Récemment, ils ont permis d’éviter chaque année le rejet dans l’air de quelque 600’000 tonnes de CO2. Il n’y a aucune raison de s’écarter de cette voie vertueuse.
Mais, au lieu d’être encouragés, les biocarburants seront à l’avenir contraints d’entrer sur le marché, à n’importe quel prix. Il faut donc s’attendre à une tendance à la hausse des coûts d’approvisionnement en biocarburants. Ils sont environ deux fois plus élevés que pour les carburants fossiles. Un mélange de 10% de part biogène pourrait entraîner une augmentation du prix du carburant de 10 à 12 centimes par litre, car il n’y aurait plus de subventions. Cette majoration s’ajoute aux cinq centimes par litre également prévus par la nouvelle loi pour compenser les émissions de C02.
On comprend rapidement qu’il s’agit d’une nouvelle attaque contre le moteur à combustion. Comme toutes les sources d’énergie respectueuses du climat, les biocarburants ont provisoirement besoin de soutien pour exister sur le marché. Le contexte européen l’a reconnu et prévoit des allègements fiscaux pour le biocarburant. Il faut espérer que l’administration fédérale ne coupera pas l’élan de ces énergies de cette manière.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Editorials 2021
La fin d’année, c’est une période propice aux rétrospectives et aux voeux.
Qu’est-ce qui aura marqué 2021, à part le Covid? Peut-être le fait que, pour la première fois depuis longtemps, la sécurité de l’approvisionnement énergétique a été un sujet de préoccupation. Soudain, le spectre de la pénurie plane. Dix ans après la décision précipitée de la Confédération de renoncer aux sources d’énergie éprouvées au profit de solutions encore utopiques, les signes d’un échec de cette politique énergétique se multiplient. Mi-octobre, le président Parmelin a demandé aux entreprises et aux usines de se préparer à une éventuelle pénurie d’électricité. Dans un tel cas de figure, elles devraient réduire leur activité. Même les bus, les trams et les trains ne pourraient plus circuler que de manière limitée. Une situation de pénurie d’électricité, dans laquelle les besoins de la Suisse ne pourraient plus être couverts pendant plusieurs jours, menace déjà dans les années à venir. C’est la conclusion d’une étude externe mandatée par l’Office fédéral de l’énergie et la Commission fédérale de l’électricité.
Cependant, le marché du pétrole et du gaz naturel est également menacé à long terme. Sous la pression des politiques climatiques, de nombreux grands groupes énergétiques remettent de plus en plus en question leurs investissements dans la prospection et l’exploitation de nouveaux gisements de pétrole et de gaz. Investir dans le pétrole, le charbon et le gaz est mal vu et pourrait même finir par être criminalisé. Ces milliards doivent désormais être redirigés vers la production d’énergie verte. Si cela a de quoi ravir les activistes du climat, cela fait en revanche grimper les prix de l’énergie à long terme et cela renforce encore l’inflation. Cet automne, les prix à la pompe ont donné un avant-goût du chemin sur lequel on s’engage. Certes, dans notre pays prospère, cela n’a pas fait de vagues jusqu’à présent. Mais ailleurs, la flambée des prix de l’énergie est un thème brûlant: les chefs de gouvernement des pays de l’UE et le président américain Biden ont tout mis en oeuvre pour maîtriser les prix du gaz et des carburants. Manifestement, les prix avantageux de l’énergie, la paix sociale et le pouvoir politique sont étroitement liés.
Ces quelques lignes ne sont pas très porteuses d’espoir, contrairement à ce qu’il convient d’entendre en cette période de l’Avent. Mais nous sommes confrontés à des défis colossaux que nous devons prendre au sérieux. J’aimerais néanmoins pro ter de l’occasion pour formuler deux voeux pour l’année 2022. Premièrement, je souhaite que nous ayons tous la sagesse de tirer à la même corde et d’arrêter de chercher des coupables. Elle n’existe pas, cette force maléfique qui veut à tout prix tuer le climat. Deuxièmement, je nous souhaite d’accepter avec sérénité la dépendance au pétrole, qui durera encore plusieurs années, en apparente contradiction avec la transition énergétique. Nous vivons à l’ère du pétrole, et il ne suffira pas d’un peu de bonne volonté pour en sortir.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Le fi nancement de la route doit être réformé. Le risque d’un «road pricing» est réel.
Imaginez-vous un prix du litre à la pompe de 98 centimes. Ce serait magnifique, s’il n’y avait pas le revers de la médaille. En contrepartie, vous devrez payer une «redevance kilométrique», sous la forme d’une facture que vous trouverez dans votre boîte aux lettres. Ce scénario pourrait devenir réalité dans un avenir proche. En effet, le Conseil fédéral a donné à l’Ofrou le mandat d’élaborer des propositions pour réformer le financement de l’infrastructure routière. Il s’agira en premier lieu de remplacer l’impôt et la surtaxe sur les huiles minérales par une taxe indexée sur le kilométrage. Ceci a pour objectif de faire contribuer tous les usagers de la route au financement de l’infrastructure routière.
Sur les quelque 4,7 milliards de francs que la Confédération a perçus en 2020 par le biais des impôts sur les carburants, environ 3 milliards sont investis dans des projets liés à la route. Ces prochaines années, les recettes vont continuellement diminuer alors même que les besoins financiers augmenteront. De lourds investissements seront nécessaires pour l’entretien du réseau et l’extension de ses capacités afin d’éliminer les goulets d’étranglement. Or, les réserves du FORTA menacent d’être complètement épuisées d’ici à la fin de la décennie. Il est donc judicieux que l’Ofrou anticipe la question du financement des routes en prévision du jour où une grande part des véhicules n’utilisera plus de carburants pétroliers. Il est inacceptable que les propriétaires d’une voiture électrique, hormis les 40 francs de la vignette, ne contribuent financièrement à l’entretien du réseau.
Le nouveau mode de financement suscitera de nouvelles avidités et induira le risque d’une politique de l’arrosoir au moment de répartir l’argent. Il y a aussi lieu de s’inquiéter d’une éventuelle tarification calculée sur le temps et l’espace. Certaines villes ont déjà dans leurs tiroirs des projets de droit de passage à l’arrière-goût moyenâgeux pour détourner de leur territoire la locomotion individuelle motorisée.
Le projet de financement de la Confédération ne devrait pas s’inspirer de ce que l'on peut qualifier de «road pricing». La population n’acceptera une taxe kilométrique qu’à la condition que soit instauré, à l’échelle nationale, un système uniforme, clair et transparent. Cela signifie notamment de garantir la neutralité des recettes. Ces dernières devront rester au niveau actuel et servir à financer l’infrastructure routière.
Il reste toutefois le casse-tête de la protection des données. Actuellement déjà, chaque déplacement de tout véhicule moderne est enregistré. Ainsi, une discussion au sujet de l’utilisation de ces données s’impose, indépendamment de la question du financement. Enfin, une dernière interrogation se pose en matière de coordination avec les impôts cantonaux sur les véhicules. Cependant, de concert avec les organisations automobiles, Avenergy Suisse compte bien observer attentivement ce qu’il se passera et, si nécessaire, pointera du doigt les risques de dérives.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
La situation est claire: les entreprises du secteur des huiles minérales exploitent et approvisionnent plus de 3300 stations-service en Suisse. Pour qu’elles puissent prendre des décisions stratégiques ef caces, elles doivent savoir aussi précisément que possible comment le trafic routier motorisé évolue. Avec, en ligne de mire, cette question cruciale: quels types de propulsion et quelles énergies seront utilisés à l’avenir? De telles prédictions sont très dif ciles à faire, c’est certain. Et là, les médias et les politiques suisses n’aident pas. Ils en restent a formuler des voeux pieux, loin de la réalité du terrain: à les écouter, la protection du climat n’est possible qu’avec l’électromobilité, c’en est fini pour le moteur à combustion.
Toutefois, un regard plus aiguisé sur les chiffres des véhicules tels que fournis par l’Office fédéral de la statistique révèle une réalité plus complexe. On voit que la part des voitures particulières équipées de systèmes de propulsion alternatifs augmente chaque mois. Ainsi, au cours du premier semestre de cette année, environ 10% de tous les véhicules nouvellement immatriculés ne possédaient pas de réservoir de carburant: ils étaient 100% électriques.
A cela s’ajoute une part de près de 30% de véhicules hybrides. Ici, les moteurs à combustion pure ne représentent donc plus tout à fait les deux tiers, et cela veut dire que plus de 90% des véhicules nouvellement mis sur le marché ont encore un réservoir qui devra être rempli de carburants liquides dans les années à venir. Ce tableau devient encore plus intéressant sur le plan des véhicules utilitaires. Car, oui, le diesel restera indispensable pour ces véhicules lourds, tandis que les véhicules électriques ne sont pas légion sur ce segment. Il faut bien se rendre compte que la réalité quotidienne à la pompe n’est pas déterminée par le nombre de nouveaux véhicules mis en circulation, mais par le kilométrage réalisé avec le parc automobile actuel. Les statistiques sont parlantes: au cours des dix dernières années, le nombre de voitures particulières à moteur à combustion interne en Suisse est passé de 4 à environ 4,5 millions. Le transport privé de passagers augmente d’un milliard de passagers-kilomètres par an. Le 1% de véhicules électriques dans le parc automobile n’a, en fait, qu’un rôle secondaire en matière de kilométrage. Le nombre de véhicules utilitaires a également augmenté d’environ 200000 durant la dernière décennie, et ils sont pratiquement tous équipés de moteurs diesel.
Les chiffres de vente qui sont régulièrement communiqués et qui attirent l’attention des médias ne disent absolument rien sur l’avenir de notre mobilité. Surtout pas si l’accent porte sur les parts relatives des types de moteurs et que tous les moteurs non conventionnels sont regroupés sous la rubrique «alternatives». A ce jour, le parc automobile est toujours dominé par des véhicules équipés de réservoirs de carburant, et ces véhicules atteignent des performances de conduite supérieures à la moyenne. Cela ne changera pas en un claquement de doigt.
Mais, il est fort possible que les carburants synthétiques s’imposent à l’avenir pour le moteur à combustion, qui n’est pas près de disparaître.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Le Musée des Transports de Lucerne consacre une exposition passionnante aux carburants du futur.
Après les vacances d’été, voici un conseil pour ne pas revenir trop brutalement à la vie active: une sortie au Musée des Transports. S’il est un musée qui mérite le détour, c’est bien celui-ci. J’ai eu la chance de le visiter d’abord avec mes parents, puis avec ma classe en course d’école; c’est un musée qui me fascine depuis ma plus tendre enfance. Petit, j’étais en effet attiré par tout ce qui avait trait à la mobilité. A l’époque, le Musée faisait la part belle aux locomotives et aux avions. Les voyages dans l’espace avaient aussi droit aux honneurs, de nombreuses expositions leur étaient dédiées.
Quand les véhicules motorisés ont été admis dans l’enceinte du musée, j’en ai pris plein la vue. Aujourd’hui, c’est un nouvel espace d’exposition sous le titre «Powerfuels» qui a vu le jour. L’exposition permanente mise en place par les partenaires du musée que sont Avenergy Suisse, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa) et Hyundai est entièrement consacrée aux carburants renouvelables du futur. Elle montre comment les carburants synthétiques (synfuels) sont développés en Suisse. Cette exposition informe aussi sur les importants progrès réalisés par les exploitants de stations-service suisses en matière de réduction des émissions de C02. Une contribution importante à la protection du climat que l’industrie apporte chaque jour en mélangeant des carburants biogènes à l’essence et au diesel conventionnels.
Ce qu’il y a aussi de bien, c’est que l’exposition consacre une section plus importante au thème de la mobilité et de l’hydrogène. D’où vient l’hydrogène vert et donc neutre en CO2 en Suisse? De quelle manière le réseau de stations-service se met-il en place dans notre pays? Et comment fonctionne réellement un véhicule à hydrogène ou à pile à combustible? Tout ce qu’il y a à apprendre sur le sujet peut se découvrir au Musée des Transports.
Les plus jeunes visiteurs peuvent produire virtuellement de l’hydrogène eux-mêmes dans un jeu interactif. Tout d’abord, ils sélectionnent sur le mur interactif un véhicule qui a besoin d’être ravitaillé. Puis, ils séparent les molécules d’eau (H2O) en hydrogène (H2) et en oxygène (O2). Pour cela, les joueurs marchent sur les molécules virtuelles avec leurs pieds. Je dois l’admettre, le jeu est assez exigeant physiquement! Vous vous essoufflez rapidement. Il est donc plus adapté aux enfants et aux jeunes mais, comme j’ai pu m’en rendre compte moi-même, ils semblent se prendre au jeu!
Le nouvel espace thématique «Powerfuel», située dans le hall consacré à la circulation routière du Musée suisse des Transports, est une idée originale pour une belle sortie, un weekend, avec des enfants. Je ne peux que recommander une visite dans ce musée de Lucerne, à présent que le quotidien reprend peu à peu son cours normal.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Enfin les grandes vacances! Enfants ou adultes, tout le monde se réjouit du farniente, des vacances à la plage et de faire une coupure avec un quotidien stressant.
Et les médias en profitent pour tartiner sur cette pause estivale bien méritée, au moment où l’actualité mondiale s’essouffle un peu. D’autres personnes se réjouissent tout autant de ces grandes vacances, en l’occurrence les parlementaires, les membres de gouvernements ou tout simplement de commissions. Cela vaut pour la Suisse, mais aussi pour l’Europe. Pendant que certains oublient tout sur le sable fin, c’est l’occasion rêvée pour d’autres de faire passer des lois et des décrets impopulaires ou mal conçus sans que personne n’y fasse attention. Dans le dos de la population, en quelque sorte.
C’est exactement la stratégie choisie par la Commission de l’UE pour instaurer son nouveau programme sur le climat «Fit for 55», dans une indifférence quasi complète. En fait, ce plan n’a fonctionné qu’à moitié, grâce à deux groupes de scientifiques qui, ces dernières semaines, ont interpellé la Commission. Leurs lettres ouvertes ont même fait des vagues dans les médias. Dans le collimateur des chercheurs, on trouve le nouveau règlement sur les valeurs-plafond pour les émissions de flottes - soit en clair, la prochaine attaque frontale contre les véhicules non électrifiés par batterie. A l’origine de leurs critiques acerbes: l’inégalité de traitement méthodique des diverses technologies automobiles. Notamment parce que l’on peut encore comptabiliser dans les statistiques les véhicules à batterie comme véhicules zéro émission, alors que, dans la majorité des pays européens, le courant est plutôt noir comme le charbon, et pas vert comme l’éolien.
Tout cela, en ignorant systématiquement les carburants alternatifs durables. Ce règlement est un document révélateur et l’expression d’une politique arbitraire et opportuniste qui, en dernier ressort, restera sans effet, précisément pour cette raison. Les doléances de ces scientifiques, que l'on peut transposer telles quelles à la Suisse, sont donc d’autant plus logiques. Les normes d’émissions pour les véhicules doivent être impartiales sur le plan technologique. Pour cela, selon les chercheurs, en lieu et place de méthodes de calcul disparates, il conviendrait d’appliquer trois principes: premièrement, toutes les mesures doivent se traduire par des diminutions réellement mesurables. Deuxièmement, ces normes ne doivent pas engendrer d’exportations de C02 dans d’autres pays. Et, troisièmement, ce qui est nouveau, ces mesures doivent être applicables rapidement et globalement.
Qui sait? Peut-être que la Commission de l’UE ferait bien de fermer ses bureaux de Bruxelles pendant quelques semaines cet été et, après s’être bien ressourcée, elle pourra élaborer une politique de protection du climat réaliste, non bureaucratique et efficace.
Fabian Bilger, Directeur adjoint d’Avenergy Suisse
La nouvelle loi sur le C02 a été coulée dans les urnes. En effet, elle prévoyait un trop grand nombre des mesures de réduction du C02 dont la population ne voulait pas. Les Suisses ont visiblement peu apprécié d’être catalogués, comme à l’école, en bons élèves que l'on récompense et en mauvais élèves que l’on punit. Pas même au nom de la protection du climat. Les perdants du 13 juin eux-mêmes en ont pris conscience, bien qu’un peu tard. Par exemple, le directeur du département des travaux publics zurichois, du parti des Verts, s’est exprimé ainsi dans les médias: «Pour beaucoup, cette taxe ressemblait à une punition pour mauvais comportement. Or, beaucoup de citoyens n’aiment pas se laisser dicter leur façon d’agir.»
L’échec de la loi sur le C02 ouvre la voie à des approches économiquement et techniquement viables pour protéger le climat. L’industrie pétrolière travaille depuis des années sur des solutions technologiques qui, contrairement aux taxes, aux fonds de subventions et autres prescriptions, sont sans doute capables d’obtenir le soutien de la majorité. Avec la proportion croissante de composants biogènes neutres en CO2 dans les carburants, la branche montre l’une des voies à prendre. Ces vecteurs d’énergie à faible émission de C02 - qui comprendront à l’avenir également les combustibles synthétiques - sont de plus en plus miscibles avec les combustibles fossiles. Ils rendront ainsi la consommation d’énergie due à la mobilité et aux bâtiments plus respectueuse du climat. En outre, ceci est également judicieux d’un point de vue économique, car cela évite de devoir construire de nouvelles infrastructures coûtant des milliards, telles que celles requises pour l’électromobilité.
Le fait de concentrer nos moyens sur des structures éprouvées offre aussi, et surtout, la garantie de la sécurité de notre approvisionnement énergétique. Cette approche, certes conservatrice, pourrait bientôt prendre plus de poids que nous ne le voudrions. En raison de l’échec de l’accord-cadre avec l’UE, un traité sur l’électricité est devenu une perspective lointaine, ce qui met en péril notre approvisionnement en électricité à l’avenir. Cette pensée s’insinue peu à peu dans l’esprit d’une population qui, jusqu’à présent, était épargnée par les craintes de pénurie. L’essence et le diesel seront probablement perçus à nouveau à leur juste valeur, et pas juste une cause d’émissions de C02: une énergie fiable, disponible et abordable. La classification entre bien et mal apparaîtra alors sous un jour nouveau. Serait-il raisonnable de faire rimer «protection du climat» et «électrification» alors qu’il n’existe aucun concept réaliste pour la production d’électricité renouvelable et le remplacement de l’énergie nucléaire en Suisse? Les partisans du soi-disant tournant énergétique n’ont pas fait leurs devoirs au cours des dix dernières années. Il ne reste plus qu’à espérer, qu’un jour, nous n’aurons pas à payer cet échec sous la forme d’un black-out.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Même au Forum des transports, les idéologies politiques prennent le pas sur les solutions concrètes.
La ministre des Transports, Simonetta Sommaruga, a récemment présenté sa vision de l’avenir des systèmes de circulation lors du Forum international des transports. N’imaginez surtout pas que ses objectifs sont moins d’embouteillages, de courtes durées d’attente et des liaisons moins coûteuses. Non, «la protection du climat grâce à des solutions innovantes» a la priorité, selon le communiqué de presse de son département. D’après la conseillère fédérale, parmi ces solutions figure la promotion des trains de nuit. Or, le financement serait assuré par l’argent ponctionné aux automobilistes en vertu de la nouvelle loi sur le CO2. J’ai bien du mal à y voir quoi que ce soit d’innovant. C’est notamment pour empêcher ceci qu’il faudra un non clair et net à la loi sur le CO2 le 13 juin!
La conseillère fédérale s’est aussi servie du tunnel de base du Gothard comme exemple de «dispositif de transport protégeant le climat». Rappelons cependant qu’avec les trains à grande vitesse, les besoins de courant pour le transport ferroviaire augmentent de façon exponentielle. Le tunnel de base autorise, certes, une circulation qui ménage le climat, mais à la seule condition de disposer d’assez de courant exempt de CO2. Or, il est permis d’en douter, compte tenu de l’arrêt des centrales nucléaires.
Un autre projet gigantesque se profile comme une lueur d’espoir pour le climat: le système de logistique numérique souterrain baptisé Cargo Sous Terrain (CST). La Mobilière, les CFF, la Poste, Swisscom, Coop et Migros veulent ainsi relier les principaux centres de logistique du Plateau suisse et du nord-ouest du pays. Depuis le début de l’année, le Parlement débat sur la base juridique du CST et en avril dernier, la commission des Transports du Conseil des Etats a donné son feu vert à ce système. Mais il est illusoire de penser que, dès 2031, les principaux centres suisses seront reliés entre eux par un tunnel de 66 km entre Härkingen et Zurich avec plusieurs hubs et branchements directs. A titre de comparaison, le tunnel de base du Gothard, de 57 km de long, a demandé 17 ans uniquement pour sa construction. Auparavant, le projet a fait l’objet de discussions et de planifications pendant une vingtaine d’années.
Il y a tout lieu de supposer que l’annonce du lancement du CST ne provient pas des ingénieurs, mais tient de l’élucubration dans l’air du temps d’activistes du climat. On s’est déjà engagé à réduire d’ici à 2030 de 50% les émissions de CO2 par rapport à 1990, et ce, à tout prix et malgré l’augmentation des besoins de mobilité. Le CST est un projet important; il contribuera à respecter les objectifs ambitieux de protection du climat, mais il paraît quelque peu tiré par les cheveux. Des illusions en lieu et place de projets concrets: voilà ce qui semble être le credo actuel. Il serait plus intelligent de faire progresser la modernisation de l’infrastructure routière pour les automobilistes. Sans plus tarder.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Mobility Pricing: le terme est à la mode et sonne très moderne. Mais le concept existe depuis des siècles.
La notion de droit de passage n’est pas nouvelle. En son temps, Aristote l’avait déjà évoquée. Une taxe que Fon retrouvera plus tard, en Arabie, en Inde et dans d’autres pays d’Asie. La Suisse moderne a (presque totalement) mis fin à cette pratique; a priori, toute personne qui circule sur une route n’a pas besoin de payer de péage. Mais cette règle pourrait bientôt devenir caduque. Effectivement, à l’avenir, quiconque circulera sur la voie publique devra passer à la caisse.
Cette initiative est plus que douteuse. En effet, il y a peu de temps encore, la Confédération avait proclamé que les recettes issues de la mobilité tarifée ne devait pas s’ajouter aux taxes existantes. Or, la «Loi fédérale sur les projets pilotes de mobility pricing» présentée tout récemment – la consultation se terminera le 14 mai – constitue une rupture radicale avec ce précepte. Au lieu de remplacer le système de taxation existant, la Confédération cherche à ajouter des taxes aux impôts qu’elle prélève déjà.
Conséquence: un coût de la vie en augmentation. De combien? Bonne question! La Confédération n’a pas répondu à cette question. En effet, son projet de loi ne fixe aucune limite de prix prévenant des cas antisociaux. En outre, elle ne donne pas non plus aux riverains, pendulaires, entreprises et autres commerçants le temps de s’adapter à l’entrée en vigueur de cet «octroi».
Selon l’avant-projet de loi, seuls certains moyens de transport seront concernés. Ce qui peut paraître suspect, puisque la Confédération parlait encore tout récemment d’une «approche multimodale» intégrant la route et le rail. Dorénavant, toutes les villes de Suisse auraient la possibilité d’instaurer une redevance routière qui n'affecterait pas les autres moyens de transport. Vu la situation politique qui prévaut dans de nombreuses villes, on peut supposer que des taxes supplémentaires seront prélevées sur l’utilisation des rues, mais que Fon n’osera pas s’attaquer aux transports en commun. Dans l’avant-projet de loi, la Confédération traite à la légère les questions de protection des données personnelles. Les dispositions pour protéger la vie privée des automobilistes brillent en effet par leur absence. Pire: la loi prévoit même un transfert automatique des données aux autorités fédérales, et ce sans l’approbation des usagers. «Droit de passage», «péage», «redevance routière» ou «mobility pricing». Quel que soit le terme, le concept est le même depuis des millénaires. Avec son projet de loi, la Confédération fait marche arrière. Sur le plan de la politique des transports, il ramène la Suisse à l’Antiquité. Soit un évident retour en arrière et une rupture avec le système libéral actuel d’une Suisse sans droits de douane à l’intérieur du pays. Sous sa forme actuelle, la «Loi fédérale sur les projets pilotes de mobility pricing» est impraticable. Elle doit impérativement être revue et corrigée.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Une nouvelle exposition au Musée suisse des transports, à Lucerne, lève un coin du voile sur le futur des carburants. Visite.
Tous les musées de Suisse sont restés fermés pendant des semaines. Depuis le 1er mars, on peut, à nouveau, flâner entre Klimt et Vermeer, apprendre quelque chose au sujet de la Réforme à Zurich et admirer des squelettes de dinosaures. Bref, les musées sont à nouveau accessibles. Tout spécialement le musée le plus fréquenté de Suisse, le Musée suisse des transports, à Lucerne.
Dans la grande halle dédiée à la circulation routière, on y trouve un nouvel îlot thématique, pour célébrer cette réouverture. Sous le slogan «Powerfuel», les visiteurs peuvent se familiariser avec ce qui nous fait avancer: les carburants.
Des alternatives arrivent
Dans le sillage des voitures électriques, toujours plus nombreuses, d’autres alternatives ont, elles aussi, le vent en poupe. En matière de densité énergétique et de simplicité de manipulation, rien ne peut, pour l’instant, rivaliser avec les carburants liquides. Les plus prometteurs sont l’hydrogène et les carburants synthétiques, tous les deux susceptibles de constituer une alternative propre, à condition que leur fabrication le soit aussi. Et ce, sans qu’une nouvelle infrastructure ne soit construite de A à Z. Quand on parle de l’avenir de l’électromobilité, on oublie volontiers que l’infrastructure existante – les stations-service – aura sa raison d’être pendant un bon bout de temps encore. En effet, bien que la part de marché des voitures électriques augmente de façon exponentielle, il n’en reste pas moins vrai que leur taux est aujourd’hui encore inférieur à 1% du parc automobile total.
Peu de temps après la réouverture, nous avons visité l’exposition avec Roland Bilang, avec lequel nous nous sommes entretenus sur l’avenir des carburants. Roland Bilang est le directeur d’Avenergy, l’association pour la promotion des carburants, et l’un des initiateurs de cette exposition au Musée suisse des transports. «Nous avons déjà eu une exposition similaire au Salon de l’auto à Genève, mais je pense que c’est plutôt ici qu’elle a sa place, au Musée suisse des transports. Les visiteurs sont curieux et intéressés. Et nous pouvons faire passer un message», explique Roland Bilang.
Nous retrouvons les représentants d’Avenergy à l’entrée du Musée suisse des transports et nous nous préparons déjà à une première discussion sur le fait d’être venus avec une voiture électrique. «Nous sommes venus en train, la ligne Zurich-Lucerne est vraiment très bonne», nous dit Roland Bilang, faisant ainsi voler en éclats le préjugé que l’on pouvait avoir en général sur les représentants de l’industrie pétrolière.
L’hydrogène en priorité
La star de l’exposition, encerclée par des voitures historiques de production suisse et quelques monoplaces Red Bull de Formule 1, est une Hyundai Nexo – le SUV de Hyundai à pile à combustible. «Hyundai est notre partenaire pour ce genre de projets. Grâce à leur engagement dans le domaine de l’hydrogène, nous sommes devenus de très bons partenaires», dit Roland Bilang, pour expliquer ce rapprochement. En phase avec le concept du Musée suisse des transports, le contenu de l’exposition est fait pour intéresser toutes les tranches d’âge. Les tous petits avec des divertissements ludiques et les plus grands avec des informations bien construites. La grande attraction pour tous les bambins qui aiment bouger est l’écran géant avec projecteur qui représente une station-service à hydrogène virtuelle.
Les enfants débordant d’énergie peuvent ainsi fabriquer de l’hydrogène à partir de molécules d’eau et ensuite, faire le plein d’une voiture virtuelle. A l’aide d’une véritable colonne de station-service à hydrogène, ils peuvent découvrir que faire un plein d’hydrogène n’a rien de sorcier – ce qui ne manquera pas de faire rougir de honte un certain essayeur de la REVUE AUTOMOBILE, tout récemment resté désemparé dans une station-service à hydrogène.
Progression de l’infrastructure
En plus de l’axe est-ouest reliant le lac de Constance à Genève comportant déjà six stations-service à hydrogène, quatre autres devraient encore s’y ajouter d’ici à la fin de l’année. «Pour le moment, cette extension n’est malheureusement pas très simple. Tout se passe encore à petite échelle et l’infrastructure en est à ses balbutiements. Beaucoup de techniciens vivent à l’étranger et ne peuvent actuellement pas venir en Suisse.» Mais, l’association Avenergy reste attachée à ses objectifs, à savoir édifier, d’ici à la fin de 2023, une infrastructure garantissant un approvisionnement en hydrogène propre sur tout le territoire. «En Suisse, l’hydrogène est fabriqué intégralement à partir d’énergies renouvelables. Le fossile n’y a pas sa place. Ainsi peut-il apporter sa contribution à la réduction des émissions de CO2», martèle Roland Bilang pour mettre en évidence le statut de l’hydrogène comme éventuelle technologie du futur.
Décarboniser le parc automobile
A l’instar de l’hydrogène, il y a d’autres pistes en core peu défrichées, en l’occurrence les carburants synthétiques, les syn-fuels ou e-fuels, auxquels est aussi dédié un pan de «Powerfuel». En effet, même si le taux des voitures électriques ne cesse d’augmenter par rapport aux voitures neuves vendues, cette transition risque d’être interminable. En Suisse, l’âge moyen d’une voiture particulière est de 8,4 ans - il faudra donc des décennies jusqu’à ce que toute la flotte soit renouvelée. En outre, il est fréquent de ne pas disposer d’une infrastructure de recharge satisfaisante. Le passage des carburants fossiles aux carburants synthétiques renferme un immense potentiel pour la décarbonisation de notre parc automobile.
Le LFEM est aussi de la partie
Ainsi, les constructeurs automobiles sont-ils les premiers à soutenir le développement des carburants synthétiques. Avec une unité pilote au Chili, Porsche veut faire passer la production de syn-fuels à 550 millions de litres par an d’ici à 2025. Mazda a adhéré, début 2021, à l’«eFuel Alliance» qui préconise une extension industrielle et la promotion d’une production et d’une utilisation des syn-fuels à l’échelle mondiale. D’ailleurs, Roland Bilang abonde dans ce sens: «Aujourd’hui encore, les carburants synthétiques jouent un rôle secondaire, mais il n’est pas exclu que ce rôle devienne plus important à l’avenir. Ils sont par exemple une bonne alternative pour les avions. Du CO2 est aussi nécessaire pour fabriquer les hydrocarbures. Il est donc important qu’il provienne de l’atmosphère car, autrement, la boucle ne sera pas bouclée.»
Un autre partenaire de l’îlot thématique est le Laboratoire fédéral d’essais des matériaux (LFEM), qui ne ménage pas ses efforts pour favoriser une mobilité durable. Ainsi, sur son site de Dübendorf (ZH), le LFEM fait des recherches intensives sur les carburants synthétiques – et les enseignements des rapports de recherche, d’ordinaire peu lisibles, sont transmis de manière claire aux visiteurs du Musée des transports
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Editorials 2020
Même si les carburants synthétiques sont encore loin d’être prêts sur le plan commercial, ils profitent déjà d’un soutien important.
Selon une enquête menée par Bosch en Europe, les conducteurs seraient encore très nombreux à préférer la voiture thermique à l’électrique. Voilà qui prouve que le moteur à combustion interne a encore de beaux jours devant lui.
En outre, la plus grande majorité des personnes interrogées dans cette enquête allemande seraient également favorables à des incitations fiscales en faveur des carburants de synthèse. Lesquels contribuent à réduire de manière importante les émissions de gaz à effet de serre. Mais, au fait, comment se déroule la production des carburants de synthèse? De l’énergie renouvelable est utilisée pour diviser l’eau (H2O) en hydrogène (H2) et en oxygène (O2), et ce grâce à la technique d’électrolyse. Le CO2 est extrait de l’atmosphère par «captage direct de l’air» (DAC). Les carburants synthétiques sont produits à partir de l’hydrogène (H2) et du dioxyde de carbone (CO2) par le biais du «Power-to-Gas» (PtG). L’hydrogène et le dioxyde de carbone forment les molécules d’hydrocarbures nécessaires à la combustion.
Bosch à pied d’oeuvre
Outre Porsche, d’autres constructeurs et entreprises du secteur automobile travaillent également sur les carburants de synthèse. Parmi eux, l’équipementier allemand Bosch: «Si nous voulons atteindre les objectifs climatiques, nous ne pouvons pas nous passer des e-fuels», déclare Stefan Hartung, membre du directoire de Bosch. «Les carburants synthétiques sont le seul moyen pour le milliard de véhicules déjà en circulation dans le monde de contribuer à la protection du climat.» L’entreprise allemande ne travaille pas elle-même au développement des carburants de synthèse. «Notre rôle est de rendre les composants du système de transport (ndlr: autrement dit de l’automobile) prêts à utiliser des carburant de synthèse», lance le porte-parole de Bosch, Joern Ebberg. Audi avait également annoncé en 2017 qu’elle entrerait – à titre d’essai – dans la production de diesel synthétique. L’expérience devait prendre place dans une usine en Suisse, à Laufenburg, en Argovie. Cependant, comme on le sait depuis, le projet a été interrompu au début de l’année.
Le plus grand projet européen de production de carburants synthétiques est en cours de construction en Norvège. Sous le nom de «Norsk E-Fuel», diverses entreprises, dont l’expert suisse en capacité d’air direct Climeworks, travaillent sur une usine pilote qui doit produire 100 millions de litres de carburants synthétiques par an d’ici à 2026. Ils doivent être utilisés principalement dans les «secteurs difficiles à électrifier», c’est-à-dire l’aviation et le transport maritime dans un premier temps.
Aucune alternative
«Dans certains secteurs, tels que le transport de marchandises sur de longues distances, les vecteurs d’énergie liquides n’ont pas d’alternative. L’avion à batteries devrait en rester à l’état de prototype», explique Roland Bilang, directeur d’Avenergy, la faîtière des importateurs de carburants liquides. «L’avenir appartient aux sources d’énergie liquides, dont la part fossile peut être continuellement réduite, et ce de manière importante. Théoriquement, rien n’empêchera d’ici quelques années la sortie à la pompe de carburants 100% biogènes et synthétiques, ainsi le trafic routier sera totalement libéré du CO2.» En attendant, la recherche continue.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
Roland Bilang, directeur d’Avenergy Suisse, souhaite en finir avec les avantages dont bénéficient les voitures électriques... et les vélos!
La coupole fédérale s’agite autour de la révision de la loi sur le C02, désormais bientôt ficelée. Outre le renchérissement du prix des billets d’avion – entre 30 et 120 francs –, les deux chambres se sont entendues sur une augmentation de 12 centimes maximum sur le tarif du litre d’essence, au titre de compensation sur les émissions de C02. Des évolutions qui ne réjouissent pas Roland Bilang, directeur d’Avenergy Suisse, la faîtière qui représente les intérêts des importateurs de combustible et de carburants liquides. Pour lui, il faut revoir le mode de financement des infrastructures routières, qui favorise trop les voitures électriques.
Pourquoi ce changement de nom d’Union pétrolière à Avenergy Suisse?
Nous avons réalisé que le nom Union Pétrolière n’était plus représentatif de nos activités, en raison de nos investissements dans les biocarburants au cours des huit dernières années. Ce changement de nom a aussi à voir avec l’hydrogène, le développement du réseau en Allemagne et en Suisse nous a montré qu’il fallait entreprendre quelque chose. Nous voulons aussi souligner que nous restons les plus importants acteurs du pétrole en Suisse, qu’il reste la principale source énergétique en Suisse et que nous gagnons de l’argent avec. Nous réfléchissons à l’après-énergies fossiles, c’est un exercice d’équilibrisme. «Av» signifie «Avenir», nous voyons pour cette branche un avenir.
Le prix du baril a été divisé par deux, au cours des dernières années. Pourquoi ne paie-t-on pas la moitié du litre d’essence?
Plus de la moitié du prix de l’essence est représenté par des impôts, au montant fixe. Si fon additionne tout, on arrive environ à 85 centimes de taxes, c’est le prix au-dessous duquel on ne peut pas descendre, même si le prix du baril était à 0 dollar. Il faut tenir compte aussi du travail de raffinage, on ne vend pas du pétrole brut à la station-essence. Il faut ensuite ajouter le transport, les infrastructures suisses. Nous avons réfléchi quel serait le prix minimal théorique du litre d’essence, et il est très au-dessus de l franc. Pour cette raison, le prix ne peut pas être divisé par deux, quand le prix du baril descend. A la fin, cela représente 5 milliards de francs qui rentrent dans les caisses fédérales. La Confédération a aussi intérêt à ce que la consommation d’essence reste haute, même si personne ne l’admettra officiellement.
La mobilité électrique aura-t-elle une influence positive sur le prix de l’essence?
Je le vois différemment: la mobilité électrique doit aussi contribuer au financement des infrastructures. Ce n’est pas encore le cas, nous sommes encore en train de subventionner la mobilité électrique. Il faudra vite réfléchir au moment où il faudra arrêter ces subventions. Ces voitures ont besoin aussi d’une infrastructure et peuvent détériorer plus rapidement l’asphalte à cause de leur poids plus élevé. Pour le moment, l’électromobilité reste une niche, la question n'est pas urgente. Mais, nous nous opposerons catégoriquement qu’on élève ultérieurement les taxes sur les carburants, pour compenser le manque à gagner engendré par la baisse de la consommation d’essence.
Quelle est la suite?
Nous venons aussi avec des alternatives, comme les carburants bio, qui sont exemptés de taxes. Toutefois, la politique a décidé que cela ne durera pas, les carburants alternatifs seront aussi taxés. Cela nous heurte que les carburants bio soient taxés, pendant que l’électromobilité ne paie rien. C’est un subventionnement caché de l’électromobilité. A cela s’ajoute que, pour une station-service, une voiture électrique est incroyablement contraignante: il faut de la place, une infrastructure dédiée. Nous préférons un client qui fait le plein en 5 minutes, qui rentre dans le shop et achète encore quelque chose et repart.
Un modèle de taxation au kilomètre pourrait être une bonne solution?
Tout à fait. Nous sommes de l’avis qu’il faut commencer à mettre en place le mobility pricing. Pour nous, le mobility pricing doit servir exclusivement à financer les infrastructures routières. Le mobility pricing ne doit pas être un instrument pour changer le comportement des usagers de la route, pour réduire les pics d’affluence, ou avoir de composante écologique. Nous avons déjà les lois sur le CO2 ou l’énergie pour cela. Nous devons financer les infrastructures pour que les personnes puissent se déplacer et que l’économie puisse fonctionner. Nous pensons qu’une taxe au kilomètre pour tous les usagers de la route est une solution, y compris pour les vélos. Eux aussi ont besoin d’une infrastructure, qu’ils doivent eux-même financer! Ce serait un point de vue provocant, nous n’avons pas encore poussé ce point de façon proactive.
Pensez-vous qu’il y a une volonté d’interdire complètement les moteurs thermiques?
Oui, c’est l’agenda politique. Je pense toutefois qu’on n’a pas bien réfléchi aux conséquences, car les 4,6 millions de voitures à essence ou diesel en Suisse ne peuvent pas être remplacées comme ça par des autos électriques! Les coûts liés aux places de parking et aux infrastructures sont énormes. On parle de milliards d’investissement, afin de réaliser des progrès minimes pour l’environnement. La différence entre un bon diesel et un véhicule électrique est insignifiante. On doit laisser le libre choix au consommateur. S’il veut traverser la Suisse sans souci, il ne doit pas se sentir obligé d’acheter une auto électrique et se retrouver toujours sous le joug de la recharge. Je préfère parcourir 1000 km avec un réservoir de diesel et faire le plein en 3 minutes.
Les carburants synthétiques sont-ils l’avenir?
Nous imaginons que les carburants synthétiques auront leur place dans la mobilité du futur. Ne serait-ce que, pour certaines applications, il n’y a pas d’alternative. Nous pensons au transport aérien, il est illusoire de croire qu’on utilisera autre chose que des carburants liquides dans ce domaine. Même chose pour le transport de marchandises.
Comment vous vous y prenez?
Nous rendons déjà ces carburants liquides neutres d’un point de vue du C02, par étapes. Nous le faisons en mélangeant du biocarburant aux carburants traditionnels. Rien qu’avec quelques pourcent de biofuels, nous économisons 600’000 tonnes de CO2 par an. Ces chiffres sont facilement extrapolables, nous pouvons facilement éviter l million de tonne de CO2 par an ces prochaines années. Je ne dis cependant pas que nous arriverons à avoir du carburant 100% bio. Il est cher et doit être soutenu politiquement.
Quels autres avantages ont les biocarburants?
Pour l’heure, nous avons une exemption de taxes dessus, jusqu’en 2023. Mais, nous avons appris que ce ne sera bientôt plus le cas. On ne comprend pas cette décision, car cette mesure commençait à produire des résultats et avait nécessité des grands investissements. On ne change pas une équipe qui gagne! Ça pourrait même tuer les biocarburants. La même logique s’applique pour les carburants synthétiques. Le but est que l’on n’ait plus de composants fossiles dans les carburants d’ici 2050! Il faut réfléchir à un modèle de financement, car les e-fuels sont chers. Voilà pourquoi cela ne va pas plus vite, il faut d’abord synthétiser de l’hydrogène et il faut une source de C02. Il faut ensuite une infrastructure qui permette d’en synthétiser plusieurs milliards de litres par an. Les développements sont en cours, ne serait-ce que parce que l’aviation aura besoin de ce genre de kérosène.
Quand arriveront les carburants synthétiques?
Je pense que nous devrons investir sur les 10 prochaines années, puis les introduire sur le marché entre 2030 et 2040, mais ils resteront chers. Il faut trouver aujourd’hui un moyen de les financer.
Doivent-ils être subventionnés par la Confédération?
Nous ne pensons pas que ce soit absolument nécessaire. Si la politique fonctionne bien, nous pensons qu'il est possible d’y arriver juste avec des me sures économiques. Mais cela voudrait dire rendre les carburants fossiles plus chers. Selon une étude que nous avons commandée à l’Empa, nous pourrions les financer avec une augmentation de 15 à 20 centimes au litre d’essence. Mais nous devons démontrer ce qui est financé avec cet argent, afin de faciliter l’acceptation au sein de la population.
Les carburants synthétiques auraient aussi l’avantage de nous donner plus d’indépendance politique, non?
Certes, mais il faut pouvoir produire suffisamment d’énergie verte pour que le bilan en C02 des carburants synthétiques soit bon. Je doute que nous puissions produire assez d’énergie solaire par exemple pour couvrir tous les besoins en énergie en Suisse, ne serait-ce que pour compenser le démantèlement des centrales nucléaires.
L’hydrogène peut-il être l’avenir?
Dans le domaine du transport, très certainement. Je peux imaginer aussi une séparation entre les sources d’énergie utilisées pour le transport de marchandises de celle pour la mobilité privée. Si beaucoup de personnes sont convaincues par la mobilité électrique mais ne veulent pas d’une batterie et des problèmes de recharge, on peut imaginer que l’hydrogène sonne le glas des véhicules à batterie. La palette de modèles disponibles doit, pour cela, devenir plus nombreuse. Dès que les constructeurs allemands proposeront un bon véhicule sur le marché, cela peut changer la donne. Et si la flotte de camions à hydrogène croît comme prévu, cela démontrera que cette technologie fonctionne.
Le futur des sources d’énergies est-il panaché?
Absolument, j’en suis convaincu. Cette position nous différencie des autorités politiques, qui ne voient qu’un avenir fait de mobilité électrique. Nous pensons que la mobilité électrique restera une niche relativement modeste, à environ 10%. Car, il y aura des alternatives, comme la pile à combustible ou les carburants neutres en C02. Les gens pourront ainsi faire le plein, sans mauvaise conscience de rouler en V8! (rires) La voie à suivre, selon nous, est de garder l’infrastructure actuelle et de rendre le vecteur d’énergie neutre en C02. Nous remarquons qu’en dépit du «hype» autour de la voiture électrique et de la volonté politique de les imposer, elles se diffusent encore relativement lentement.
Roland Bilang, Directeur Avenergy Suisse
La révision totale de la loi, adoptée par le Conseil national, aura des conséquences pour les automobilistes. Mais un référendum se profile.
La chambre du peuple avait refusé ce projet de révision en décembre 2018. Le 10 juin dernier, elle l’a adopté par 135 voix contre 59. La nouvelle loi a pour but de concrétiser les engagements de la Suisse contre le réchauffement climatique dans le cadre de l’Accord de Paris, signé en 2015.
Dès 2025, les importateurs de véhicules émettant plus de 95 grammes de CO2 par kilomètre devraient compenser jusqu’à 90% au maximum des émissions et 20% au minimum par des mesures en Suisse. Le prix du litre d’essence renchérirait en conséquence de 10 centimes au maximum jusqu’en 2024 et 12 centimes au maximum à partir de 2025.
Référendum annoncé
Les réactions ne se sont pas fait attendre, alors que certains considèrent la version adoptée comme quasiment identique aux projets du Conseil des Etats et du Conseil fédéral. L’UDC, notamment, affirme que le Conseil national l’a durcie. Le parti agrarien annonce que les particuliers et les entreprises subiront des ponctions financières massives. Il souhaite, par conséquent, que le peuple suisse ait son mot à dire, et envisage un référendum.
Jean-Luc Addor, parlementaire UDC, espère que «les milieux qui défendent les intérêts des automobilistes se mobiliseront et combattront par un référendum cette loi inutile et qui, particulièrement en ces temps où la crise du Covid-19 a fragilisé nombre de nos concitoyens, est contraire aux intérêts de la population.» Le politicien valaisan fait partie de ceux qui, au sein du parti, s’engagent pour que l’UDC prenne le lead de cette campagne.
Pour le président du parti et conseiller national Albert Rösti, la loi sur le CO2 charge beaucoup trop l’économie et n’aide en rien le climat, «parce que les autres pays du monde font beaucoup moins». Il confirme que l’UDC aimerait lancer un référendum, avec d’autres partis et les milieux économiques et que, si nécessaire, il en prendra le lead.
Durcissement, ou pas
Le conseiller national PLR Philippe Nantermod, le peuple suisse a montré une volonté pour qu’une loi CO2 soit adoptée: «C’est aussi le cas de notre base, c’est ce qui ressort du sondage mené l’année dernière.» Le Valaisan complète: «Il y aura probablement un référendum. Le peuple aura le dernier mot et je pense que c’est la meilleure solution.» Son collègue de parti, Jacques Bourgeois, considère que le durcissement par rapport au projet du Conseil des Etats a été écarté: «Nous avons pu éviter que toutes les sanctions des importateurs de véhicules, qui vont dans le fonds des routes nationales et le trafic d’agglomération (Forta), soient transférées au fonds pour le climat. Je me suis opposé à ce transfert et c’est la proposition de mon collègue Paganini qui est passée avec la moitié pour le Forta et la moitié pour le fonds climatique.» Le Fribourgeois complète: «Au sujet du plafond des 10 et 12 centimes dès 2025, cette proposition émane du CE et nous n’avons fait que l’entériner.»
La gauche sûre d’elle
Sans surprise, les partis de gauche ou écologiques sont satisfaits. Le conseiller national socialiste Samuel Bendahan n’imagine pas que le peuple refuse la loi, car elle ne va pas très loin, mais amène des projets attendus par la population. Il sait toutefois, d’expérience, qu’en injectant suffisamment d’argent, il est possible de récolter 50’000 signatures et de lancer un référendum.
Les Verts soutiennent la loi même s’ils la considèrent un peu trop modérée par rapport à l’urgence climatique. Daniel Brélaz est certain qu’il y aura un référendum, l’UDC l’ayant annoncé. Selon le Vaudois, tous les partis, sauf l’UDC dont le président préside aussi Swissoil, soutiennent cette loi. Il rappelle que des avantages ont été octroyés aux véhicules électriques et que les obligations de diminuer les émissions de CO2 faites aux importateurs impliqueront une diminution de la consommation d’essence: «A la fin, tous les automobilistes qui passeront à l’électricité ou achèteront une voiture neuve hybride ou à essence paieront moins qu’aujourd’hui pour leurs déplacements car la baisse de la consommation compensera plus que l’effet des 10 à 12 centimes (moins de 8% du prix global de l’essence).»
Economie désavantagée
Du côté de la branche automobile, le mécontentement est palpable. François Launaz, président d’auto-suisse, considère que la décision du Parlement n’a pas été prise au bon moment: «La Suisse traverse une période de difficulté, de doute, de problèmes financiers et on annonce une augmentation du prix du carburant de 10 à12 centimes, sans penser aux automobilistes qui sont obligés de se déplacer en voiture, dans des régions qui n’offrent pas d’autres possibilités...» Le président de la faîtière des importateurs regrette également que l’on ne cite pas le financement d’une réduction de 4 centimes pour les carburants dits bio ainsi que 4 autres centimes pour le Forta, amenant les taxes sur le litre d’essence à une augmentation de près de 20 centimes d’ici quelques années. Il en appelle à plus de vérité: «Il n’est pas vrai que la moitié de l’augmentation sera redistribuée aux consommateurs.»
Avenergy Suisse proteste également: «Le projet de loi se concentre sur des mesures nationales aucunement perceptibles à l’échelle internationale, plutôt que sur des solutions concrètes soutenues par l’économie, tel le développement de carburants neutres en CO2.» Selon le représentant des intérêts des importateurs de combustibles et carburants liquides, les consommateurs seront contraints à des dépenses annuelles supplémentaires de plusieurs centaines de francs et l’économie suisse sera désavantagée par rapport à ses concurrents étrangers. Les fronts semblent se durcir, mais il faudra attendre l’automne pour connaître la suite de l’histoire. Le vote final sur la loi sur le CO2 devrait avoir lieu à la fin de la session de septembre, soit le 25 septembre. Par conséquent, la publication dans la Feuille fédérale est prévisible pour le 6 octobre, qui marquerait le point de départ du délai référendaire de 90 jours.